La pièce d’Ibsen avait fait scandale en 1879, au point d’inciter l’auteur à en proposer une autre fin, au grand dam de sa femme qui avait été jusqu’à dire « Nora part ou c’est moi qui pars ». Le moment où un oiseau est venu se fracasser sur la fenêtre de la bibliothèque où elle lisait a inspiré à la comédienne, manipulatrice et sculptrice de marionnettes, Yngvild Aspeli, l’envie de monter la pièce. Comme cet oiseau l’héroïne d’Une maison de poupée, Nora, se cogne à la surface en verre de sa propre existence, emprisonnée dans sa vie familiale et les règles de la société de son époque. Elle va partir pour devenir un être humain, au même titre que son époux. En adaptant la pièce, l’artiste réussit à montrer ce qu’ont de toujours actuels la situation et le conflit de l’époque.
Yngvild Aspeli et Paola Rizza, sa co-metteuse en scène, nous installent dans un salon bourgeois où un arbre de Noël vient rappeler qu’on est à la veille de Noël. Une porte laissera passer les personnages, des marionnettes à taille humaine, qui vont bousculer ce huis-clos. Yngvild Aspeli joue Nora. Celle qui apparaît comme une jolie femme frivole toute dévouée à son mari et à ses enfants, a autrefois fait un faux en écriture pour pouvoir emprunter l’argent nécessaire à un séjour en Italie destiné à aider son mari à recouvrer la santé. La comédienne va aussi prêter sa voix aux marionnettes qui vont représenter tous les autres personnages de la pièce, Torvald le mari de Nora, récemment promu directeur de banque, soucieux de respectabilité bourgeoise, à qui répugnent l’emprunt et le mensonge, Krogstad qui a en main le billet signé par Nora et la menace de tout révéler à son mari, le Docteur Rank, ami de la famille secrètement amoureux de Nora, et Christine, une amie de Nora, une veuve qui a besoin d’une emploi pour assurer sa subsistance.
L’idée magnifique d’Ingvild Aspeli est de ne pas se servir des marionnettes pour illustrer la pièce, mais de les mettre au cœur du propos de la pièce. Les dédoublements entre la comédienne et les marionnettes donnent parfois le vertige offrant un terrain fertile à la réflexion sur la place que la société assigne aux femmes, une question toujours d’actualité.
Le joli papier peint des murs du salon se noircit et s’emplit d’une toile d’araignée, comme celle dont Nora se sent de plus en plus prisonnière. Les lattes de plancher se soulèvent laissant passer des araignées, d’abord petites puis de plus en plus grosses, jusqu’au moment où seules deux énormes pattes encadrent Nora assise sur le canapé tenant ses enfants embrassés, comme un dernier recours. La broderie que fait Nora grossit de plus en plus, semblant elle-aussi la contraindre à rester dans son rôle de femme au foyer. C’est dans une sorte de transe que Nora va se libérer. On voit toujours le buste de l’actrice mais ses jambes sont celles d’une marionnette dansant une tarentelle frénétique pour se libérer du venin de cette société bourgeoise, où son mari, après lui avoir dit l’horreur que lui inspirait son acte, voudrait la ramener à son statut de bel oiseau illuminant le foyer conjugal. Mais Nora sait désormais que, quel qu’en soit le prix, elle doit partir.
Un spectacle fort qui suscite une gamme d’émotions rendant la pièce inoubliable.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 16 octobre au Théâtre Gérard-Philippe, 59 rue Jules Guesde, 93000 Saint-Denis – lundi, mercredi, vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 15h30 – Réservations : 01 48 13 70 00 – En tournée ensuite dont 23 janvier au 2 février 2025 au Théâtre du Rond-Point à Paris
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