Judith D’Aleazzo et David Nathanson de la Compagnie Les Ailes de Clarence mettent en scène et en voix un spectacle puisant dans les quelques-unes des 500 lettres que François Truffaut a écrites tout au long de sa vie et qui ont été publiées en 1993 par Gilles Jacob et Claude de Givray.

Au piano, intégré dans une grande table, Pierre Courriol (en alternance avec Antoine Ouvrard) fait résonner les extraits musicaux de certains des films de ce grand réalisateur. Grâce à la très belle scénographie de Samuel Poncet, le spectateur se trouve au cœur de l’ambiance de cet amoureux du 7ème art porté par la Nouvelle Vague. Au sol traînent de vieux numéros des Cahiers du Cinéma (revue créée par André Bazin). Une mini caméra sur une table basse projette sur un écran suspendu (toujours cette référence au cinéma) notes, lettres de Truffaut, prospectus et affiches de films, livres … Les différents courriers, morceaux choisis d’une pratique épistolaire quasi compulsive, nous révèlent que l’homme de cinéma cinéaste et cinéphile, était aussi un grand écrivain.

David Nathanson ne cherche pas à mimer François Truffaut. Il lui prête sa voix pour en faire jaillir tous les caractères. Il peut se montrer empathique envers ses amis en difficulté comme dans cette lettre adressée à Jean Louis Bory. Il est aussi critique avisé parfois même engagé quand il porte haut l’idéal de liberté en défendant Chris Marker et Le Joli mai (1963) alors menacé de censure. Il revendique aussi la liberté de la presse et s’élève contre la censure quand il défend La Cause du peuple, journal de la Gauche prolétarienne distribué avec Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir ou quand il refuse de participer aux « Dossiers de l’Écran » pour son film Fahrenheit 451 quand il apprend qu’il ne pourra pas évoquer le problème de la censure. Il est également conseiller bienveillant ou acerbe pour celles ou ceux qui lui demandent de soutenir leur film ou leur script. Les lettres les plus attachantes mais aussi les plus poignantes sont celles qu’il consacre à son enfance cabossée et celles qu’il échange avec ses propres filles depuis l’Amérique. La plus assassine et véritable réquisitoire est celle adressée à Jean-Luc Godard en réponse à celle que cette icône de la Nouvelle Vague voulait adresser à Jean-Pierre Léaud. Enfin sa reconnaissance incommensurable envers André Bazin, son père de substitution qui l’a sorti des 400 coups de son enfance, nous en dit beaucoup sur la souffrance lors de la disparition de ce père de substitution. L’amitié envers Alain Souchon qu’il admire pour lui avoir écrit L’Amour en fuite et qui tarde trop à lui donner de ses nouvelles nous touche. Le choix des lettres est remarquable et dresse un portrait en creux de François Truffaut qui lui garde une part de mystère et crée un jeu avec les spectateurs car François Truffaut ne nomme les interlocuteurs de ses lettres que par « Monsieur » ou « Madame ».

David Nathanson nous fait partager toutes ces missives avec le souci de nous les transmettre sans nous les lire mais en nous les « jouant » avec tout ce qu’elles contiennent de sentiments, de légèreté, d’émotion, de tendresse et aussi de colère, finalement tout ce que porte le cinéma. C’est la force de ce spectacle que d’avoir su mettre le théâtre au service du cinéma et de la littérature à travers les écrits de cette véritable plume qu’était aussi François Truffaut.

Précipitez-vous pour aller voir ce spectacle passionnant qui nous dévoile un autre Truffaut et nous donne envie de revoir ses films et ceux qu’il évoque dans ses lettres

Frédérique Moujart

Jusqu’au 10 novembre à 19h du mardi au samedi et à 15h30 le dimanche – Lucernaire, 53 rue NotreDame des Champs, Paris 6ème – Réservation : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr

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