Dans un salon d’avant la Révolution Française, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, échappés du roman épistolaire de Choderlos de Laclos se plaisent à rejouer leur relation passionnelle et les intrigues érotiques qui ont conduit au sacrifice de Cécile Volanges et de la Présidente Tourvel. Ils se délectent de cette relation où le libertinage perd sa légèreté pour devenir un théâtre de la cruauté et où le désir devient instrument de manipulation et de domination. Merteuil joue Merteuil, devient Valmont qui joue Tourvel avant qu’elle ne devienne Volanges qui meurt sous les mains de Valmont, lequel deviendra Tourvel empoisonnée par Merteuil.
Le dramaturge et metteur en scène est-allemand Heiner Müller a écrit en 1980 ce brûlot qui résonne
encore avec le présent. Il y imagine l’ultime combat de Merteuil et de Valmont à coup de phrases où la sophistication de la langue ne cache pas la crudité et la brutalité du propos. Ce sont deux monstres d’intelligence et de lucidité qui ne veulent plus se raconter d’histoires et s’affrontent. « Nous devrions faire jouer nos rôles par des tigres » dit Valmont. Le libertinage désormais révèle la crudité des rapports de domination qui se cachent sous le désir. Dans ce monde d’où Dieu est évacué, il ne reste plus que le désir brutal et des rapports amoureux et sexuels dépouillés de toute morale, où les protagonistes ne veulent garder que le contact des peaux et leur pouvoir sur l’autre. Un sexe contre l’autre, une classe contre les autres pour un combat qui va jusqu’au bout, la mort pour l’un, la solitude définitive pour l’autre.
Jacques Vincey, ancien directeur du CDN de Tours, propose pour cette pièce aux dialogues qui claquent comme des étincelles, une mise en scène à la fois brûlante et glacée. Un rideau translucide ferme le plateau. Derrière s’élève la voix ironique de Merteuil, qui passe de la séduction à une flamme qui détruit tout sur son passage. Son ombre s’y profile enfin et le rideau tombe, laissant apparaître un écrin précieux où sol et murs sont recouverts de satin couleur d’or (superbe scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy). L’or devient argent jusqu’à ce qu’à la fin Valmont fasse violemment tomber ces tentures précieuses et les piétine, laissant apparaître la terre qu’elles recouvraient. Ne reste plus alors que la mort et la solitude.
Pour interpréter ces personnages qui jouent à jouer et deviennent des marionnettes qu’ils se plaisent à manipuler, il a choisi deux interprètes formidables. En costumes dix-huitième, avec robes à panier, culottes, gilets brodés et perruques, Valmont et Merteuil vont pouvoir échanger leurs rôles et se détruire. Stanislas Nordey, usant de sa scansion si particulière, joue avec les mots et semble jouir de la justesse des coups qu’ils portent. Hélène Alexandridis refuse de se laisser toucher dans ce duel à mort et réagit à l’instant. C’est souvent elle qui mène le jeu. Elle a aimé Valmont et sait comment le toucher dans son orgueil d’homme, évoquant sa virilité que l’âge commence à atteindre. Dans ce combat porté à l’incandescence, le musicien Alexandre Meyer, assis discrètement avec sa guitare au fond du plateau, prolonge ou tord les sensations qui assaillent le spectateur.
Les décors à la splendeur glacée, la mise en scène précise et juste, les interprètes capables de sublimer ces dialogues aussi brillants que brutaux, font de cette version de Quartett une grande réussite.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 12 octobre au Théâtre de la Commune, 2 rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers – du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h – Réservations : lacommune-aubervilliers.fr ou 01 48 33 16 16
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