En 2018, Sylvain Creuzevault, le metteur en scène, avait créé Banquet Capital à partir de son spectacle de 2014 Le Capital et son singe en l’allégeant. Aujourd’hui en 2024 à la MC93 de Bobigny, il reprend ce spectacle avec un même processus de création. Pas de texte écrit à l’origine du spectacle mais un travail à partir d’improvisations des interprètes qui ont lu Le Capital de Marx mais aussi d’autres ouvrages, mémoires et écrits des héros de la révolution de 1848 mais aussi des écrits plus récents (Freud, Foucault, Lacan …). Karl Marx apparaît d’ailleurs avec un masque de latex rouge. Sur scène, les comédiens créent des conflits, des confrontations mais aussi des moments de légèreté et d’humour.
Nous sommes le 13 mai 1848 à Paris dans le Club des amis du peuple fondé par François-Vincent Raspail après la révolution de février qui a renversé la monarchie. Les révolutionnaires de l’époque sont presque tous là : Louis Blanc, Raspail, Louis-Auguste Blanqui, Armand Barbès, l’ouvrier Albert, Engels mais aussi la sœur de Barbès, Lamartine, Charles Baudelaire, Jeanne Duval… Ils reviennent de la première manifestation organisée depuis la réunion le 4 mai de la nouvelle Assemblée Constituante française – élue au suffrage universel direct masculin le 23 avril précédent, qui a proclamé la deuxième république. Il n’y a d’ailleurs que deux femmes présentes et elles rappellent bien qu’elles n’ont pas eu le droit de voter. Les révolutionnaires, dont certains sont députés, craignent de se voir confisquer les idées révolutionnaires au profit d’un gouvernement bourgeois.
Dans un dispositif bi-frontal, de part et d’autre d’une grande table de banquet, ils vont s’affronter violemment dans un tourbillon d’idées sans temps mort. Le spectacle s’ouvre d’ailleurs sur Raspail dans une tenue rappelant celle d’un boxeur qui s’apprête à combattre. Tous les thèmes sont abordés : place et rôle de l’État, valeur du travail, valeur d’usage et d’échange des marchandises, lutte des classes, rôle de l’Assemblée constituante et des députés… Les comédiens, tous excellents, rendent ces affrontements, pas toujours faciles à comprendre, passionnants. Ils nous entraînent dans leur fougue, leurs discussions endiablées nous amènent à réfléchir et nous font aussi beaucoup rire. Le spectacle se finit au printemps 1849 par le procès haut en couleurs des révolutionnaires qui vont être lourdement condamnés. Là encore humour et sérieux se mêlent pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Sylvain Creuzevault et ses comédiens nous offrent un beau spectacle passionnant, plein de bruit et de fureur mais aussi d’éclats de rire, un spectacle qui donne à penser. Même si tout se passe au XIXème, les problématiques abordées nous semblent ô combien d’actualité. La taxe de 45 centimes qui a mis le feu aux poudres en 1848 n’est pas sans rappeler celle qui a déclenché le mouvement des gilets jaunes et les questions politiques, sociales et économiques sont encore d’actualité. Mais Creuzevault ne se pose pas en donneur de leçons, bien au contraire. Il nous entraîne dans une folle épopée burlesque et poétique.
Frédérique Moujart
Jusqu’ au dimanche 06 octobre (mercredi 2 octobre à 20h, jeudi 3 octobre à 14h30, vendredi 4 octobre à 20h, samedi 5 octobre à 18h, dimanche 6 octobre à 16h ) à la MC93 , 9 bd Lénine, 93 BOBIGNY – tel : 01 41 60 72 72 – jeudi 10 à 19h30 et vendredi 11 octobre à 20h, Scène nationale de L’Essonne, Evry – tel : 01 60 91 65 65 ou billetterie@scenenationale-essonne.com – Du mardi 15 au vendredi 18 octobre à 20h, Malakoff Scène Nationale, Théâtre 71 – En décembre 2024 (dates à venir) au Théâtre 14, Paris
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