La veille de Noël en 2010, Bernard Mazières ex-journaliste politique au Parisien est retrouvé mort à son domicile de Saint-Germain-des-Prés. Pas d’effraction, pas de cambriolage. Très vite les soupçons des enquêteurs se tournent vers le fils de la victime qui vit avec son père depuis la séparation de ce dernier d’avec la mère du jeune homme, âgé de 17 ans. Très vite aussi, des aveux et l’arrestation d’un complice et ami du fils, âgé de 25 ans. Ce dernier sera mis en examen pour assassinat, meurtre avec préméditation. Un meurtre conçu et voulu par le fils. Une sorte de parricide par procuration d’autant que le complice aurait été un enfant abandonné par son père.

C’est de ce sordide fait d’hiver que s’inspire la pièce de Jacques Descordes qui en a également réalisé la mise en scène. Un texte finalisé en résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon-CNES en septembre 2019 et lauréat de l’aide nationale à la création ARTCENA-Printemps 2020. Créé le 1er mars 2022 au théâtre des Ilets / Centre dramatique national de Montluçon, le spectacle revient donc près de son lieu de naissance… comme un criminel sur les lieux du crime ?

Mais de quel crime s’agit-il ? Car les relations entre le fils interprété par Gaspard Liberelle et l’ami, Cédric Veschambre, sont compliquées, toxiques, tendues, à la limite de la violence ; très certainement des rapports d’emprise du second sur le premier – l’emprise induit-elle toujours une fascination de la victime voire sa « servitude volontaire » ? Les deux comédiens ont un jeu vif, débridé et très mouvementé, fort bien articulé à la scénographie elle-même très mobile de Camille Allain Dulondel. L’ensemble est parfaitement harmonisé et l’on a l’impression que tout se joue, la complicité et ses incertitudes, dans une sorte de ballet rock judicieusement mis en mouvement par Aurore Floreancig. Bien évidemment, le personnage du père plutôt dépassé et déprimé, joué par Patrick Azam est quelque peu perdu dans ce décor mouvant de Jérôme Sautureau, dans ce mouvement brownien de passions, d’excitations, de frustrations, de particules désirantes qui au bout du compte se figera en un dénouement tragique et surprenant. C’est un peu Œdipe vaincu par Œdipe !

La pièce est électrique, faite des lumières d’Arthur Gueydan ; lumières froides ou chaudes, métalliques ou veloutées qui découpent l’espace au couteau ou l’enrobent de sensations troubles. Les échanges aussi peuvent être tranchés, saignants comme celui-ci entre le fils et son père : « Tu es vieux / Mon enfant / Et laid /Mon enfant / Tu es vieux, laid, débile et je te déteste / Tu parles comme un enfant / Maman a bien eu raison de te quitter / Tu vois, tu es méchant comme un enfant / Je ne veux plus être ton fils / Tu seras toujours mon enfant / Alors j’ai honte d’être ton enfant. »

En fond de plateau une toile tendue sur laquelle sont projetés des « murmurations » ou agrégations d’oiseaux en vol comme la métaphore des enjeux aléatoires de l’histoire…

Une belle réussite de la compagnie des Docks, un précipité dramatique aussi insolite que diabolique.

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off. Du 3 au 21 juillet 2024 à 12h50. Présence Pasteur 13 rue Pont Trouca, 84000 Avignon. Informations : https://www.festivaloffavignon.com/spectacles/3935-ce-que-nous-desirons-est-sans-fin

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