Kristian Novak fait partie de la nouvelle génération des écrivains croates, nés forcément dans la douleur après l’éclatement de la Yougoslavie qui a durement marqué les populations. Matija, le narrateur, a vécu son enfance dans un village reculé du Medjimurje – dans l’actuelle Croatie – dans lequel les bruits de la guerre sont assourdis mais arrivent tout de même à exercer leurs effets. Une terre noire boueuse grosse de fantômes, de non-dits, de silhouettes bizarres qui se reflètent dans la rivière, qui appellent les vivants à rejoindre les morts.

Un enfant de 5 ans raconte – avec les mots de l’adulte, une confusion voulue – ses émois, ses peurs, ses angoisses après la mort brutale de son père. Il le cherche. Il veut le faire revivre et, pour ça il est prêt à sacrifier son ami le plus proche pour satisfaire les esprits de la rivière qui détiennent son père. Le prix à payer, la solitude. Son esprit perturbé créera deux acolytes à la fois amis et ennemis pour en faire des confidents et des succédanés de père qui expliquent les actes qu’il voit mais ne comprend pas. Dont le viol de son ami.

Une série de suicides secouera les villages pour indiquer la fin de l’enfance, le moment où le souvenir de nos compagnons imaginaires nous quittent sans espoir de retour et servir de miroir à cette guerre qui a transformé la vision du monde et a fait éclater toutes les solidarités.

« Terre, mer noire » fait partie de ces romans qui ne laissent pas intact, leur musique continue de courir dans notre cerveau, irriguant d’autres chansons qui sont aussi les nôtres. Christian Novak, à partir de son expérience, parle à la fois de notre enfance, de notre initiation à un monde souvent incompréhensible comme des conséquences de la guerre à commencer par le sentiment de trahison qui taraude la question : « Comment en est-on arrivé là ? »

Terminons d’abord par une mise en garde. Le début, l’introduction pourrait laisser penser à une bluette, à une fuite dans le mensonge, dans la fiction de la part du narrateur habitué à refuser de voir toute réalité mais là est le mensonge ultime, piège de l’auteur au lecteur dans lequel il faut éviter de tomber. Plus encore, les mensonges reprochés à Matija par sa compagne trouve une explication rationnelle.

Enfin, il faut remercier la traductrice Chloé Billon qui a su rendre le ton si particulier de Kristian Novak.

Nicolas Béniès

« Terre, mère noire », Kristian Novak, traduit par Chloé Billon, Les Argonautes éditeur


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