23h34, Hong-Kong : un homme regagne sa chambre d’hôtel, un bouquet de fleurs à la main. Il vient de recevoir un prix. Dans cette chambre blanche à l’élégance froide, il sort de sa valise un cadre avec la photo de sa femme morte l’année précédente. Pendant un peu plus d’une heure, il va parler à celle qu’il a toujours aimée, lui raconter avec humour sa journée, ce prix, ces discours, sa rencontre surprenante avec son interprète. Il regrette le temps où elle partageait avec lui ces voyages, ces découvertes. Il se laisse aller à la nostalgie en écoutant Charles Aznavour chanter Hier encore j’avais 20 ans. Il se souvient des lieux où ils ont fait l’amour, de leurs caresses, énumère les villes où ils sont allés, les bonheurs partagés. Il lui dit qu’en la perdant il a perdu le goût de vivre. Il jette à la poubelle le prix à l’esthétique stéréotypée, les fleurs et un classeur. Il a mis en ordre ce qui restait de sa vie, maintenant qu’elle est partie. Il ouvre une bouteille, avale des médicaments, boit, se fait une ligne de coke pour s’aider à passer de l’autre côté et s’allonge, désormais seul, insupportablement seul, sur le lit.
Pascal Rambert a rencontré Jacques Weber lorsque ce dernier jouait sa pièce Architecture au Festival d’Avignon. De leurs longues conversations après-spectacle est né son désir d’écrire une pièce pour ce grand acteur, une pièce où un homme range ses affaires et se penche sur sa vie, sur son amour pour celle qui fut l’unique compagne de sa vie, avant de s’allonger pour mourir. La pièce n’est pas triste, on y entend de la nostalgie et beaucoup d’amour.
Jacques Weber anime de sa présence massive cette chambre d’hôtel. Face à la photo encadrée de sa femme, il va et vient au gré des idées qui le traversent, il raconte avec humour sa journée, s’assied empreint de regrets, marche, boit, avale ses comprimés, serre contre lui l’ours en peluche de sa femme rescapé du dernier déménagement. Sa voix passe de la narration pleine d’humour à la rupture proche des larmes, sans que jamais il ne pleure. Il n’y a plus de consolation quand l’envie de vivre a disparu. Quand la lumière s’éteint dans la salle, ses mots continuent à vibrer dans le cœur des spectateurs. Il est formidable.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 29 juin au Théâtre des Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny, 75002 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 86 47 72 43 ou www.bouffesparisiens.com
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