Nous avons tout lu sur ces attentats, les articles des journaux, les témoignages des survivants, des médecins, des infirmières, des pompiers, des policiers, des voisins, des passants, des parents et pourtant le texte de Laurent Gaudé nous touche au cœur avec sa langue simple, énergique, incarnée. Les personnages qu’il fait parler ne renvoient pas à une personne particulière et pourtant on y retrouve le vécu et les émotions que l’une ou l’autre a évoqués. Faisant parler les vivants et les morts, plongeant dans ce qu’avaient pu être ce matin du 15 novembre leurs désirs, leurs éventuels pressentiments, leur attente d’une soirée festive avec des amis, un amoureux ou une amoureuse, il évoque aussi le poids du hasard qui les a menés là, au cœur de l’horreur. Ils deviennent un chœur, dont sont exclus les tueurs. La haine n’a pas sa place dans ce très beau texte. Des vies ont été volées ou à jamais transformées mais le long et tendre baiser des deux amoureuses assassinées, qui clôt la pièce, signe la défaite du projet des tueurs.
Denis Marleau avait mis en scène en 2018 Le tigre bleu de l’Euphrate de Laurent Gaudé à Montréal (la pièce sera présentée du 24 mai au 16 juin à La Colline). Tous deux souhaitaient poursuivre un travail ensemble avec un autre texte et ce fut Terrasses. En onze chapitres on va passer de l’avant à l’après des attentats, de ce qui fut l’insouciance à ce qui ne sera plus jamais pareil pour ceux qui en ont réchappé. On va entendre deux amoureuses, deux jumelles qui se retrouvaient pour un anniversaire, une jeune mère qui vient de quitter compagnon et petite fille sur une dispute avant d’aller au concert, les deux policiers arrivés les premiers au Bataclan et qui y pénètrent pour tenter de neutraliser les tueurs, les parents qui s’acharnent à tenter d’appeler leur fille au téléphone, deux pompiers, une infirmière revenue en urgence, un voisin, dans les bras de qui meurt une jeune inconnue, tant d’autres encore.
Dans une atmosphère crépusculaire, dix-sept comédiennes et comédiens incarnent les nombreux personnages. Dessiné par la lumière, chacun dit ses attentes ce jour-là, sa joie de l’instant de fête et des retrouvailles, puis sa plongée dans l’horreur. Ils se fondent ensuite dans le chœur qui porte leur voix collective. Ils boivent en terrasse, dansent avec fièvre, s’accroupissent, tombent, s’enfoncent dans la terreur. Une vidéo en noir et blanc (Stéphanie Jasmin) évoque, comme dans le flou d’un souvenir en noir et blanc, les immeubles du quartier, le flot des voitures, les lumières du concert au Bataclan.
Une élégie à l’humanité profonde et bouleversante.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 9 juin au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris – du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 16h – Réservations : 01 44 62 52 52 ou billetterie.colline.fr –
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