Un couple d’acteurs vieillissants et que le succès a fui se font face dans un théâtre vide après une représentation. Claire finit de se démaquiller, a beaucoup bu, déchaîne son ironie sur les spectateurs et règle ses comptes avec Koen, son partenaire et compagnon. Il lui annonce qu’ils vont reprendre une pièce très connue d’Edward Albee Qui a peur de Virginia Woolf, qu’ils ont jouée l’année précédente. Il faut deux acteurs pour compléter le quatuor et il a invité deux jeunes acteurs, qu’il a choisis non pour leur talent mais parce que, issus de l’immigration, ils vont permettre à la pièce de bénéficier de subventions. La confrontation entre Claire et Koen s’élargit avec l’arrivée de Leïla et Khadim, d’autant plus quand les deux jeunes acteurs comprennent pourquoi Koen les a choisis.

Le dramaturge flamand Tom Lanoye, un des auteurs néerlandophones les plus reconnus, a écrit une sorte de décalque de la pièce d’Edward Albee, mais en en élargissant les thèmes. Les dialogues sont percutants, les deux acteurs vieillissants font assaut d’une ironie cruelle et les deux jeunes acteurs finiront par se mettre à l’unisson. Au-delà des conflits dans le couple et entre les générations, la pièce devient au cours de cette nuit très alcoolisée, un portrait paroxystique des conflits intimes, mais aussi politiques qui agitent nos sociétés, avec les préjugés de classe, de couleur de peau ou les questions d’identité, mais aussi les artistes de théâtre aujourd’hui, avec l’influence du politiquement correct, du pouvoir de l’argent dans la création, les questions identitaires ou #metoo.

La pièce avait été créée dans sa version néerlandaise en 2019 pour être mise en scène par Koen De Sutter avec quatre acteurs que l’auteur avait choisis. Aurore Fattier, qui navigue entre la France et la Belgique, a traduit la pièce avec l’aide de son compagnon Koen De Sutter et c’est elle qui en assure la mise en scène tandis que Koen joue le rôle de Koen ! Démultipliant les effets de miroir Aurore Fattier place au-devant de la scène un écran où l’on distingue l’un ou l’autre des personnages, en général pas celui qui s’exprime, comme si elle cherchait sur lui l’effet des paroles crues et souvent blessantes de celui qui les prononce. À l’instar de Tom Lanoye elle donne aux personnages les prénoms des comédiens qui les interprètent : Claire Bodson, Koen De Sutter, Leila Chaarani et Khadim Fall. Tous sont criants de vérité et contribuent à donner au spectateur la sensation que ce ne sont plus des personnages qu’il voit, mais des acteurs en train de lui livrer leurs vraies pensées et ce qu’habituellement ils cachent. On croit voir la vérité d’un personnage et on s’aperçoit l’instant suivant qu’il mentait. On suit ces joutes verbales où la cruauté est bien installée, on rit, on se révolte, on s’émeut. Mise en abîme, glissement du vrai au faux s’enchaînent, éclairant ces ambiguïtés qui font le charme du théâtre et sa richesse. Sous le carnage des relations humaines survit l’amour du théâtre.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 25 mai au Théâtre 14, 20 avenue marc Sangnier, 75014 Paris – mardi, mercredi, vendredi à 20h, jeudi à 19h, samedi à 16h – Réservations : billetterie@theatre14.fr ou 01 45 45 49 77

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