Alain Pailler réédite en le transformant « Ko-Ko » sous-titré « Duke Ellington en son chef-d’œuvre » pour rendre compte du processus créatif qui peut, parfois, échapper à son auteur. Une thématique qui n’est pas propre au jazz mais le jazz, par l’attention au moment, peut réussir une œuvre universelle impossible à refaire.

Difficile à croire mais Duke – Edward Kennedy pour l’état civil, né en 1899 et mort en 1974 – n’a pas eu vraiment conscience, si l’on en croit ses propos réitérés à plusieurs reprises, que la prise éditée en cette année 1940 de « Ko-Ko » était, par le tempo ramassé, l’un de ses chefs-d’œuvre. Alain Pailler retrace la genèse de ce moment-synthèse du style précédent appelé « jungle » pour aller à la découverte d’autres univers. Le « Duke » construit, avec son orchestre, de nouvelles dimensions de la musique noire.

L’auteur reprend les différentes versions – elles sont nombreuses – qui se sont succédé, y compris « l’alternate take » – une version non publiée à l’époque – qui a suivi la version princeps, au tempo plus rapide perdant ainsi son mystère. Toutes les versions auront pour modèle, bizarrement, cette version non publiée C’est la réponse que fera Duke à André Hodeir qui critiquait la version de 1956 qui avait, disait-il, perdu son aura.

Une interrogation supplémentaire vient à l’esprit : pourquoi Duke a-t-il choisi la version « chef d’œuvre » ? On peut imaginer que le moment a joué un rôle crucial, oublié ensuite. Peut-être et plus simplement les musiciens n’ont pas retrouvé cet instant de grâce.

C’est le sens qu’il faut donner à l’improvisation soit la réunion d’éléments personnels, collectifs qui, d’un seul coup, met le feu à la plaine de la musique. Le chef d’orchestre, sa composition, le personnel de l’orchestre disparaissent pour laisser la place à leur incandescence, à leur dépassement. C’est ça « Ko-Ko » ! Il échappe à la répétition. Ce moment est unique. Duke ne pouvait le refaire. C’est, peut-être, une explication de ses propos. Personne n’a pu le refaire. Comme « Kind of Blue » de Miles Davis – 1959 – dont parle aussi Alain Pailler. Ou la coda de « Night in Tunisia » de Charlie Parker (label Dial) que le Bird n’a jamais pu refaire, ou beaucoup d’autres chefs d’œuvre du jazz bercés par le génie de l’instant, impalpable et vital.

En même temps que le livre, Frémeaux et associés, sous la direction d’Alain Pailler – le livret qu’il signe in memorian pour Alain Tercinet est un complément essentiel -, propose un coffret de 4 CD reprenant les enregistrements des années 1940-42, années de consécration de Duke Ellington accédant au rang de compositeur fondamental du 20e siècle. Les années de guerre sont, pour lui et son orchestre, des années de concert à Carnegie Hall, lieu de la création, en 1943, de sa suite « Black, Brown and Beige », hymne à l’intégration sur la base de la culture des Africains-Américains, qui restera, pour sa dernière partie, à l’état de brouillon.

Livre et coffret sont absolument indispensables pour refaire connaissance avec Duke Ellington mais aussi avec Jimmy Blanton, libérateur de la contrebasse, disparu en 1943.

Nicolas Béniès

« Ko-Ko. Duke Ellington en son chef-d’œuvre », Alain Pailler : « Duke at his Very Best, the Jimmy Blanton – Billy Strayhorn – Ben Webster Sessions, Legendary Works 1940-1942 », coffret de 4 CD ; le tout chez Frémeaux et associés


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