La petite Anaïs adorait les fables de La Fontaine et les alexandrins. C’est au milieu de la récitation des vers de La Fontaine que son père a posé pour la première fois la main sur elle. Elle admirait ce père restaurateur étoilé, qu’elle accompagnait toujours dans sa cuisine, et dont elle a suivi la trace. En lui transmettant son savoir-faire, ce qui ne s’est pas fait sans violence, il a assuré son emprise sur elle. De ses sept ans à ses quatorze ans il l’a violée et, dans l’état de sidération dont parle la plupart des victimes de viol, elle n’a rien dit, ni à son grand-père bien aimé ni à sa mère, ni au proviseur. Elle qui était si vive, si bavarde, s’est enfermée dans le silence et a suivi le parcours classique des enfants dans son cas, succession de phases d’anorexie et de boulimie, décrochage scolaire, violence, etc. Vingt ans plus tard, devenue une jeune chef remarquée, elle rompt le silence et accuse son père.

Tout au long du procès, relayée par son avocate au verbe engagé, Anaïs va, poussée par la police et le juge, plonger dans son enfance et son adolescence pour retrouver tout ce qu’elle avait tu, mettre des mots sur les non-dits familiaux et prendre conscience de la lâcheté de tous.

81% des violences sexuelles commencent avant dix-huit ans et dans 94% des cas elles sont commises par un proche. La violence pédocriminelle est une constante des rapports sociaux et renvoie structurellement aux sociétés patriarcales, où la domination sur les enfants est la source de toutes les dominations. Avec cette fable Joséphine Chaffin a souhaité informer et particulièrement armer les jeunes contre ce fléau. Elle souhaite briser les cercles de silence qui enserrent les victimes, de l’auteur qui leur enjoint le silence au cercle familial qui fait corps pour éviter le scandale. Dans ce récit choral, qu’elle met en scène assistée de Clément Carabédian, on accompagne Anaïs dans sa quête au fond de sa mémoire, au gré de flash-back qui mènent de son enfance et son adolescence au procès, jusqu’à sa parole retrouvée.

Le public, assis sur les quatre côtés d’un plateau quasi-vide, devient le jury du procès qui se déroule devant lui. Quatre acteurs (Clément Carabédian, Estelle Clément-Bealem, Hermine Dos Santos et Patrick Palmero) endossent tous les rôles, passant de la parole intime des relations familiales à la parole proférée dans l’enceinte du procès. Se changeant à vue sur le plateau ils sont tantôt membres du cercle familial tantôt acteurs du procès. Le corps étant à la fois réceptacle des violences et moyen d’exprimer l’indicible, des séquences dansées s’intercalent portées par la musique de Théo Rodriguez-Noury. Hermine Dos Santos, qui joue Anaïs et est aussi danseuse, s’y lance à corps perdu comme si c’était le seul moyen de relâcher une tension insupportable.

Même si la pièce tombe parfois un peu trop dans le didactisme, c’est un spectacle indispensable pour l’éveil des jeunes.

Micheline Rousselet

Spectacle vu le 12 avril dans le cadre du Festival Méli’Môme à la Comédie de Reims – du 27 au 31 mai à la Scène nationale de Mâcon hors-les-murs (collèges), le 21 juin au TNP/Les Célestins à Lyon, du 3 au 21 juillet au Théâtre du Train Bleu dans le Festival Avignon Off

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