L’opéra de Giacomo Puccini, dont nous fêtons cette année le centenaire de sa mort, est une œuvre (créée le 14 janvier 1900, au Teatro Costanzi à Rome) bien particulière puisqu’on se croirait dans un roman de Stendhal. Les librettistes Giuseppe Giacosa et Luigi Illica ont fort bien suivi la pièce de Victorien Sardou (1831-1908) qui avait mis dans son drame historique tous les ingrédients de La chartreuse de Parme écrite une cinquantaine d’années auparavant : un contexte historique franco-italien, la Victoire de Marengo et ses conséquences révolutionnaires ou réactionnaires sur la cité romaine, une action digne d’un film d’évasion avec rebondissements et surprises tragi-comiques et, bien sûr, une histoire d’amour romantique entre la brune cantatrice Tosca et Mario, peintre d’une madone blonde aux yeux bleus…

Disons-le tout net, la mise en scène de Jean-Claude Berutti secondé pour la scénographie de Rudy Sabounghi, porte magnifiquement les promesses de cette intrigue vive, amoureuse, mouvementée, politique, tragique. Comment nous plonger dans Rome à l’aube du XIXe siècle ? Très simplement, par d’immenses vidéos des lieux de l’intrigue défilant en fond de scène : les images immersives de l’Église San Andrea della Valle (de Julien Soulier), du Palais Farnèse (de Virginie Lançon) et de voûtes supposées du cachot du Château Saint-Ange suffisent à nous plonger dans ces lieux splendides, lointains et inimitables. Trois actes et trois lieux mais entre chaque, une autre vidéo fait traverser la ville au public et donc emprunter le chemin des personnages, en le représentant comme un point mobile sur un plan animé de Rome : pourquoi se priver des technologies actuelles quand l’art peut (encore comme toujours) les sublimer ?

La soprano néerlandaise Barbara Haveman, dans le rôle-titre, nous fait vibrer de ses aigus si cristallins. Sa magnifique interprétation de l’air de la plainte de Tosca nous arrache mille nuances affectives et peut-être des larmes provenant, elles, des harmonies fines, de la mélodie délicate et sensible de la musique de Puccini. Quel est ce dieu ingrat qui la récompense si mal de ce qu’elle lui donne en beauté spirituelle par l’exercice de son art ? Au passage, la scène où la cantatrice tue l’infâme et cynique Scarpia (le baryton André Heyboer) qui entend marchander la libération de Mario contre les faveurs de Tosca, est d’une actualité criante : cette fois, en fiction certes mais donc pour notre imaginaire, ce n’est pas la femme qui est féminicidée mais le mâle dominant qui est éliminé. Le rôle du peintre Mario Cavaradossi qui délaisse sa madone blonde pour s’engager politiquement et aider la fuite d’un ami républicain au péril de sa vie, est lui aussi magnifiquement tenu par le ténor français Sébastien Guèze. Son interprétation de l’air du troisième acte où il chante son amour désespéré est de toute beauté. L’orchestre dirigé par Federico Santi, la maîtrise et le chœur de l’Opéra Grand Avignon ont admirablement assuré le relief musical de ce moment d’opéra grandiose, voire glorieux.

Dans l’œuvre qu’est la Tosca, il y a la force des passions à laquelle répond l’enthousiasme des idéaux. Il y a aussi la violence d’un pouvoir autoritaire à laquelle répond une contre-violence légitime et libératrice. Deux réponses qui brillent par leur absence dans notre modernité faite d’autant d’arbitraire mais baignant dans la banalité et la soumission. La fin est tragique soit, mais l’histoire humaine l’est aussi et cela ne l’empêche pas d’accoucher de progrès civilisationnels, du moins quand les humains y mettent le meilleur d’eux-mêmes… Qu’est-ce qu’un classique du répertoire sinon un réservoir d’idées susceptibles de recharger les batteries de l’esprit humain à tout moment ?

Jean-Pierre Haddad

Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, Avignon 84000. Vendredi 5 avril à 20h ; Dimanche 7 avril à 14h30 et Mardi 9 avril à 20h. https://www.operagrandavignon.fr/agenda

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