Ce n’est pas des dix ans de guerre d’Ulysse puis de ses dix ans d’un retour plein d’épreuves que nous parle Claudine Galea, mais de sa rencontre, à trois périodes de sa vie, avec trois des femmes qui ont construit sa gloire de guerrier invincible mais vont aussi lui révéler ses fragilités.
Après la chute de Troie, les femmes des guerriers vaincus ont été offertes en trophée aux vainqueurs. Hécube (Clotilde de Bayser), la reine de Troie, a été attribuée à Ulysse, celui qui a tué son mari Priam et presque tous ses enfants. Au portrait de l’homme courageux, fort et rusé vanté par Homère elle oppose l’arrogant, l’affabulateur, le menteur. Près d’une monumentale tête de cheval, posée sur scène comme une vanité, elle met Ulysse (Sefa Yeboah) face à sa violence et à la mort qui l’attend.
La tête de cheval tourne et devient la grotte éclairée de bougies de Calypso (Séphora Pondi). Vibrante amoureuse, elle a gardé huit ans auprès d’elle un Ulysse séduit (Baptiste Chabauty). Mais désormais elle n’arrive plus à vaincre la noire mélancolie qui l’a envahi au souvenir d’Ithaque et de son épouse Pénélope et elle a décidé de laisser partir cet homme, incapable de vivre au présent.
Ulysse (Eric Génovèse) rentre à Ithaque. Tandis que son époux avance lentement du fond de la salle, Pénélope (Marie Oppert), comme figée dans le passé, lui oppose un long mutisme absolu avant de réclamer, dans un chant magnifique, les droits et les égards qui lui sont dus après ces vingt ans d’attente.
Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages depuis 2016, a pris l’habitude pour chacune de ses créations de passer commande à un auteur ou une autrice. Elle s’est adressée cette fois à Claudine Galea dont la prose charrie un fleuve de mots, une langue incisive, corrosive, percussive, lyrique. Parce qu’elles l’ont sauvé et accueilli, qu’elles l’ont aimé ou haï, les trois femmes que l’autrice a choisies, sont celles qui peuvent renvoyer Ulysse à ce qu’il est, l’homme d’un pouvoir patriarcal ancien.
Laëtitia Guédon utilise texte, vidéo, musique et chant. Elle installe « un dialogue poreux » ainsi qu’elle l’appelle, entre ces différentes disciplines pour ajouter une profondeur onirique au texte. Tous les comédiens sont équipés de micros pour allier intimité et puissance. Huit jeunes chanteurs et chanteuses du chœur Unikanti interviennent à la manière du chœur chanté dans les tragédies grecques. Profondément émouvants, ils arrivent lentement du fond de la salle et donnent à la pièce un caractère onirique avec un répertoire qui va de la musique sacrée occidentale aux chants traditionnels araméens, orthodoxes et même celtes avec un Tri martolod surprenant.
De ce très beau texte et de cette très belle mise en scène surgit un Ulysse enfin dégagé de son armure de héros invincible, un peu plus fragile et émouvant.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 8 mai à la Comédie Française, Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20H30, le dimanche à 15h – Réservations : comedie-francaise.fr
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