On commence par « Doukipudonktan » et on finit par «- T’as vu le métro ? – Non – Alors, qu’est-ce que t’as fait ? – J’ai vieilli ». On reconnaît bien la Zazie de Raymond Queneau, cette adolescente qui, dans les années 1960, vient à Paris pour voir le métro … et ne le verra pas car il y a une grève. Mais autour de son tonton Gabriel, qui est « danseuse de charme » et se parfume au « Barbouze de chez Fior », elle va rencontrer des hommes et des femmes au mode de vie pas très conventionnel et au franc-parler aussi irrévérencieux et réjouissif que le sien, à qui elle pourra poser toutes les questions qui la préoccupe, par exemple « c’est quoi un hormossesuel », le tout ponctué de « mon cul ».
Zabou Breitman biberonnée depuis son enfance à ce texte impertinent, qui défend la liberté d’être soi-même fusse au mépris des conventions sociales, a eu la très bonne idée d’en faire une comédie musicale. Elle a gardé les scènes dialoguées qui racontent les moments importants du séjour de Zazie et confié le reste à des chansons. Pour cela elle a choisi Reinhardt Wagner, avec qui elle avait déjà travaillé, qui a composé une musique entre jazz et java, Kurt Weill et musique de cabaret ou chansons populaires. Comme dans un générique de film, les musiciens apparaissent au début en ombres chinoises dans des fenêtres qui s’éclairent une à une avant de s’effacer dans l’ombre. Passant de la mélancolie de Mado aux petits pieds en quête d’amour à l’énergie rock de la veuve Mouaque, musique et paroles se mettent à l’unisson du roman en jouant de l’ironie et de la parodie.
La metteuse en scène a gardé l’ambiance des années 60, les couleurs pop, tee-shirt et ballerines oranges de Mado aux petits pieds, touristes avec leur ciré et leur chapeau de pluie jaune. Pas de sauts de décor pour mener la joyeuse troupe aux quatre coins de Paris, mais un plan posé verticalement en fond de scène. Elle a aussi beaucoup joué sur les troubles d’identité qui sont au cœur du roman. Gabriel avec son costume trois pièces écossais devient Gabriella avec sa robe rouge de gitane sexy, les danseuses qui l’accompagnent ont des tenues coupées en deux dans la longueur pour être moitié-homme et moitié-femme.
Les acteurs, comédiens et chanteurs (Franck Vincent, Gilles Vajou, Fabrice Pillet, Jean Fürst, Delphine Gardin, Florence Pelly) portent avec énergie et talent l’humour et l’ironie du texte et des chansons. On retiendra particulièrement Alexandra Datman qui campe cette Zazie, sans filtre, drôle, impertinente, maligne, manipulatrice s’il le faut. Silhouette menue de gamine, cheveux attachés en macarons , elle court, saute, se faufile, râle, porte des jugements définitifs, veut être institutrice pour « faire chier les mômes » ou astronaute pour « faire chier les martiens », multiplie les questions et aligne des gros mots devenus légendaires avant de terminer souvent ses phrases par « mon cul ». Avec son incroyable liberté de parole et son regard sans concession sur les adultes, elle dynamite la famille, l’armée, la police ou le patriarcat. Il n’y a qu’un interdit, qui sonne bien dans l’actualité, on ne touche pas à un enfant.
La fable de Raymond Queneau nous parle avec un humour dévastateur de sujets toujours d’actualité, comme les troubles d’identité ou la pédophilie. La transposer en comédie musicale est une formidable idée et le résultat est aussi réjouissant que la langue de Zazie.
Micheline Rousselet
Du 20 au 23 mars à la MC93, 9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny – du mercredi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h – Réservations : 01 41 60 72 72 – Tournée : les 27 et 28 mars à l’Azimuth Anthony-Chatenay-Malabry, les 3 et 4 avril au Volcan au Havre, du 16 au 18 avril au Théâtre d’Antibes, les 2 et 3 mai à Anglet, les 14 et 15 mai à La Coursive à La Rochelle, du 22 au 25 mai au TNP de Villeurbanne
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