Comment parler de la crise financière qu’a connue la Grèce d’une façon qui ne soit pas un aride cours d’économie ? La Compagnie Les anges au plafond a choisi de nous faire assister à « une torsion du temps ». Quatre jeunes gens se retrouvent dans un petit restaurant sur une place grecque. Ils ont vécu ensemble les manifestations qui ont agité la Grèce de 2009 à 2015, à la suite d’une succession de plans d’austérité drastiques, imposés par « la Troïka » (FMI, Commission et Banque Centrale européennes) qui avaient mis la population grecque à genoux. Ils se sont ensuite séparés, les étrangers abandonnant leur amie grecque pour regagner leurs pays respectifs. Ils se retrouvent et leurs souvenirs les ramènent à ce moment de la crise où ils étaient un groupe soudé, vivant et manifestant ensemble.
La Grèce a été accusée d’avoir maquillé ses comptes, d’avoir laissé s’envoler déficit budgétaire et dette. Mais les agences de surveillance et les banques ne l’avaient-elles pas encouragée ? Cela a conduit Camille Trouvé et Brice Berthoud, de la Compagnie Les Anges au plafond, à faire un parallèle avec le moment où Prométhée, las de voir les Dieux s’accaparer les meilleurs morceaux lors des offrandes, organisa un banquet où il trompa Zeus et les Dieux, aggravant ensuite son cas en offrant aux hommes le feu.
Ce qui est très beau et très intelligent dans ce projet a été d’imaginer des images poétiques fortes pour entraîner les spectateurs au cœur de la politique et de l’économie. Tout se passe sur une place telle une agora. Le public y est convié mais il y a des favorisés, placés au cœur de la dramaturgie sur la scène à deux petites tables où on leur sert quelques mets. A la table autour de laquelle dînent les jeunes gens viennent s’ajouter d’autres tables qu’ils associent, la rendant semblable à celle utilisée lors des discussions par la Commission. Un funambule passe au-dessus des têtes sur un fil. En équilibre instable, comme l’économie grecque, il avance et recule au gré des plans d’austérité. Un musicien accompagne le repas des jeunes gens ou les assemblées des Dieux d’une musique inspirée du rebetiko traditionnel, revisité par les chansons nées dans à l’époque des grandes manifestations. L’intervention de grandes et magnifiques marionnettes apporte enfin la magie de la mythologie. Prométhée avec sa coiffe de feu ou l’aigle de Zeus dominant l’assemblée avant de dévorer le foie de Prométhée comme la Troïka dépeçant la Grèce éblouissent et impressionnent les spectateurs. L’humour est là aussi, mais un humour un peu désespéré. Les marionnettes d’Angela Merkel et de Christine Lagarde marchandant leur soutien au premier Ministre grec Alexis Tsipras, renvoient à l’idéologie libérale sous-tendant ces plans qui réduisirent les Grecs à la pauvreté, acculant nombre de retraités au suicide.
On passe d’un univers à l’autre avec fluidité, des relations d’argent, parfois difficiles, qu’eurent ces jeunes gens, à la résistance de la Grèce face aux impératifs des instances internationales, de Prométhée, aidant les hommes à lutter contre l’inégalité imposée par les Dieux, aux manifestants qui se battaient contre le sort qu’on leur réservait. Arriver à parler ainsi de politique, de l’inégale répartition des richesses, aborder des sujets graves avec poésie et humour est une magnifique réussite.
Micheline Rousselet
Spectacle vu le 7 février au Théâtre des Quartiers d’Ivry – En tournée : les 21 et 22 février à la Maison de la Culture d’Amiens, les 7 et 8 mars aux Passerelles à Pontault-Combault (77), les 21 et 22 mars au festival MARTO à Malakoff, le 26 mars au Théâtre Paul Eluard de Choisy-le-Roi, les 3 et 4 avril à la Comédie de Caen à Hérouville-Saint-Clair (14)
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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