Dans une maison qui se déglingue irrémédiablement dans un îlot promis à une destruction imminente, une petite fille se raconte. Elle parle du froid et de l’humidité de la maison, de son père qui s’accroche à cette ruine, seul avec elle depuis que sa mère est partie, elle dit la honte de la pauvreté, sa détresse et sa peur face aux monstres ordinaires, les garçons de son école pleins de mépris pour cette pauvresse qu’ils traitent de « petite pute », l’instituteur indifférent, la stagiaire de l’école qui voudrait l’aider, et les représentants de la Mairie qui veulent les expulser dans le cadre d’un nouveau plan d’urbanisme.
Magali Mougel a écrit ce texte à l’occasion d’une résidence qui lui avait été proposée par le directeur de la Scène nationale du Bassin Minier de Lens, Liévain et Loos-en-Gohelle. Une semaine par mois, elle allait y organiser des ateliers d’écriture, participait à des ateliers de couture et de collage avec les habitants et assistaient à de nombreuses réunions où se développaient des initiatives locales autour de la réhabilitation du patrimoine industriel. Au cours d’une de ces réunions, elle a été happée par le visage d’un homme qui découvrait qu’on allait raser sa maison pourrie et qu’il devait accepter d’être relogé ailleurs. L’angoisse qu’elle lisait dans ses yeux l’a hantée. Plus tard elle a pleuré, compris la nostalgie de ces gens pour ce qui existait avant, et elle a écrit.
On est dans la tête de la petite fille, on entend sa peur devant les murs qui craquent, la pluie qui s’infiltre du plafond de sa chambre, les insectes qu’elle sent sous le plancher. La menace est partout, sous terre, en l’air avec cette pluie qui tombe, autour d’elle avec ces garçons qui l’insultent et la frappent et ce monsieur qui annonce qu’il faut quitter la maison. Bien sûr il y a son père qui résiste, qui ne veut pas abandonner cette maison qui est sa vie et tout ce qu’il possède. Elle voudrait le protéger, mais elle est seule, maman n’est plus là. Lasse de rêver du ciel bleu des tropiques, elle a fui.
La mise en scène de Julien Kosellek sublime ce beau texte à la fois poétique et poignant. Cela ressemble à un film, avec ses passages au noir et un beau travail sur les sons, roucoulements de pigeon, ceux qu’élevaient les mineurs autrefois, ou bruits de cour d’école par exemple. Ce qui arrive à cette petite fille et à son père arrive partout et tous les jours. Mais ici on s’éloigne du théâtre documentaire. On est au cœur de ce moment où la vie d’une de ces familles bascule, on vit le drame par la voix de cette petite fille. Trois actrices magnifiques ( Nathalie Beder, Ayana Fuentes-Uno et Viktoria Kozlova) unissent leurs voix pour nous plonger dans ses rêves et ses ressentis. Parfois l’une d’entre elles devient le père, cigarette à la main et zipo pour l’allumer, ou la stagiaire à la voix douce. Leurs voix se succèdent ou deviennent un chœur. La précision, avec laquelle les a dirigées Julien Kosellek, impressionne. Elles murmurent paralysées par la peur ou chantent au bord du cri des chansons en anglais parlant de vie où l’on naît sous une mauvaise étoile et de la tempête et des torrents qui menacent. « Gimme, gimme shelter or I’m gonna fade away » (Rolling Stones) chantent-elles avec force à la fin. Qui offrira un abri à cette petite fille ?
Un spectacle bouleversant.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 27 janvier au Théâtre Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure, 94200 Ivry – à 20h – Réservations : 01 46 70 21 55 – du 4 au 31 mars au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, 75011 Paris – lundi et mardi à 21h15, dimanche à 17h sauf les 5 et 26 – Réservations : 01 48 06 72 34 ou theatredebelleville.com
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