La Ronde écrite par Schnitzler en 1897 a provoqué un scandale à sa parution en 1903 et a été censurée car elle choquait la morale bourgeoise. Le metteur en scène, Johanny Bert a demandé à l’auteur contemporain de théâtre et scénariste, Yann Verburgh, de lui écrire Une nouvelle Ronde qui en reprenne la structure : dix brefs dialogues entre deux personnages avant et après l’acte charnel. Chacun.e a deux partenaires successifs, les relations sexuelles servent de lien aux personnages et aux scènes et la ronde se ferme quand le dernier a une relation avec la première. Mais si Schnitzler mettait en scène des personnage issus de classes sociales différentes, en cette fin de XIXème, elles restaient circonscrites à des relations hétérosexuelles. Johanny Bert a souhaité une ronde d’aujourd’hui et de demain, une ronde politique et poétique qui parle des identités amoureuses rarement abordées au théâtre comme la bisexualité, le polyamour, l’asexualité, les amours transgenres. Pour être la plus juste et libre possible, la fiction a été nourrie par des lectures, podcasts, documentaires mais aussi par des rencontres de personnes d’origines, d’âges différents qui ont confié à l’auteur et au metteur en scène leurs histoires d’amour et de sexualité.
Mais il ne s’agit pas de faire un théâtre documentaire. Les personnages sont incarnés par de magnifiques marionnettes aux corps charnels et aux traits expressifs qui permettent une déréalisation et une poétisation indispensables pour éviter le réalisme trop cru ou la vulgarité. Chacune est manipulée à vue par deux comédien.ne.s d’une dextérité folle caché.e.s par leur tenue noire intégrale. En parfaite synchronisation, l’un.e manipule les jambes et les bras, l’autre le corps et le visage tout en prêtant sa voix aux personnages.
Hétéros, homos, trans, bisexuel, jeune vierge, femme au foyer, femme mûre, employé, directeur… évoluent dans une scénographie d’Amandine Livet et d’Aurélie Thomas d’une grande originalité. Les superbes décors adaptés à la taille des marionnettes se succèdent sur une sorte de tapis roulant les emportant à la façon d’un travelling dans cette nouvelle ronde.
Johanny Bert a réussi à traiter un sujet sociétal et politique avec humour, fantaisie et poésie. Accompagnées par la musique tantôt sensuelle tantôt rageuse jouée en direct par Fanny Lasfargues, les marionnettes nous plongent dans un univers onirique où les corps échappent aux lois du réel : ils s’envoient en l’air dans tous les sens du terme, se décomposent, se recomposent, se métamorphosent.
Courez voir ce spectacle d’une beauté plastique exceptionnelle qui traite intelligemment de sujets délicats avec sensibilité, audace, humour et poésie. Johanny Bert célèbre joyeusement une sexualité libre où chacun.e se réalise en suivant ses désirs dans le respect de l’autre. Un vrai bijou.
Frédérique Moujart
Tournée : 6 et 7 février 2024 au CDN de Normandie-Rouen – 14 février 2024, Le Sablier, CNMa – Ifs – 13, 14 et 15 mars 2024 au Théâtre de Cornouaille à Quimper – 26, 27 et 28 mars 2024 à La Coursive, Scène nationale de La Rochelle
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