Nous sommes dans un futur proche. Un gouvernement patriarcal le GRAF, grand retour aux fondamentaux, a été élu démocratiquement. Les femmes n’ont plus le droit de travailler ni de fumer ni d’avorter et chacune n’a qu’un quart de voix aux élections. Des groupes de résistance commencent à s’organiser. Le groupe Souterraines mais souveraines, réfugié dans un sous-sol où il a mis en place une permanence d’aide téléphonique, prépare une grande action à l’occasion de la Journée de l’Homme sur la place Olivier Duhamel, où sera érigé un phallus géant de Jeff Koon ! Trois militantes, Simone, Françoise, Ava auxquelles se joindra bientôt Delphine se livrent à des activités militantes – permanence d’aide téléphonique pour femmes en détresse, tournage d’un film militant sur l’avortement – et préparent une action pour cette journée en se disputant sur la nécessité de recourir à la violence.
Céline Fuhrer et Jean-Luc Vincent, qui ont écrit et mis en scène le texte, ont été des compagnons de longue date des Chiens de Navarre. On reconnaît dans leur spectacle le goût de la provocation, les blagues potaches parfois à la limite du scabreux et la réussite pour trouver des punch-lines marquantes, comme le mot d’ordre des partisanes du GRAF « Non à l’ambition, oui à la procréation » ou encore « la femme ne sera pas l’avenir de l’homme, démerdez-vous », caractéristique des Chiens de Navarre. Tous deux utilisent l’actualité, n’hésitent pas à nommer les Olivier Duhamel, PPDA, DSK, Polanski et autres phallocrates comme Michel Houellebecq. Ils taclent un peu tous azimut. Mona Cholet n’échappe pas à leur flèche, pas plus que Jean-Michel Ribes en son royaume au Rond-Point.
Dans le tunnel qui leur sert de quartier général clandestin, des couvertures pour dormir par terre, des objets hétéroclites, une enceinte connectée, des téléphones et un tableau noir qu’elles peuvent cacher derrière un rideau et où elles inscriront un schéma désopilant de l’attaque groupée des femmes lors de la grande manifestation. Dans le quatuor on reconnaît facilement, d’autant plus que leurs prénoms les désignent, Simone de Beauvoir, grande, tirée à quatre épingles avec son turban, Françoise Dolto qui, désespérée par son fils, se demande régulièrement si elle n’a pas raté sa vie et Delphine Seyrig qui se promène caméra en main et filme un simulacre d’avortement. On se souvient qu’elle fut une des signataires de l’appel des 343 en faveur de l’avortement. Quant à Ava c’est un mix de l’écrivaine Annie Lebrun, de la cinéaste et autrice Virginie Despentes et de la journaliste militante LGBTQI et élue écologiste Alice Coffin. Deux sont interprétés par des hommes, Jean-Luc Vincent et Cédric Moreau, les deux autres par des femmes, Céline Fuhrer et Valérie Karsenti. Tous quatre incarnent un peu tous les courants du féminisme, du plus modéré au plus violent. Les questions classiques, la séduction, la maternité, le couple sont abordées avec un sens comique certain et les comédiens et comédiennes n’ont peur de rien, se laissent aller à l’extravagance et à l’excès avec une gourmandise qui réjouit les spectateurs. Il y a certes des séquences un peu longues, des formules un peu lourdes, des allusions qui parlent surtout à celles qui connaissent les mouvements féministes de longue date, comme les guérillas girls (un mouvement qui dénonçait déjà en 1985 le sexisme des institutions artistiques avec des masques de gorille) et reconnaissent l’hymne du MLF à la fin. Mais cela reste un spectacle réjouissant, drôle et provocateur, qui fait du bien au moment ou la liberté des femmes régresse dans de nombreux endroits du monde.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 31 décembre au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h30, les dimanches 10 et 17 à 15h30, le 31 à 18h, relâche les lundis et les 24 et 26 décembre – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr – Tournée : 12 janvier théâtre de Châtillon-Clamart, 18 janvier théâtre des 2 rives à Charenton-le-Pont, 26 janvier Le beffroi à Montrouge, 22 et 23 février Théâtre du Bois de l’Aune à Aix en Provence
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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