Si Aristophane (-450 ; -385) ressuscitait aujourd’hui, il pourrait se croire toujours au Ve s. av. J.C., tant notre actualité est occupée par la guerre. Pour lui, c’était surtout les nombreuses batailles de la Guerre du Péloponnèse, pour nous ce sont les conflits au cœur de l’Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, etc. Comment un poète comique et antimilitariste serait-il reçu s’il nous proposait une satire politique et sociale de l’esprit de guerre qui règne sur Terre ? L’armada des chroniqueurs très « sérieux » qui se délectent (et s’enrichissent) à commenter ces conflits à longueur de plateaux de télé, le prendrait de haut.

Plutôt que de rentrer dans le sérieux du tragique (ou de l’exploiter), Robin Renucci et Serge Valletti nous offrent une merveilleuse et réjouissante adaptation marseillaise de La Paix, comédie du plus irrévérencieux auteur du théâtre antique. Pour eux, la plaisanterie et la gaîté ne contredisent pas la réflexion, elles lui donnent au contraire un élan. S’étonnera-t-on que la traduction du texte d’Aristophane soit tout autant une réécriture faisant une large place à notre actualité et moult clins d’œil à la vie marseillaise sociale, culturelle, sportive ou autre? Cela aurait certainement réjoui l’auteur qui voulait interpeller ses concitoyens sur l’interminable et ruineux conflit entre Athènes et Sparte et les inviter à préférer la paix à la guerre, la bonne humeur à la fureur. C’est malheureux, mais si un auteur veut rester d’actualité durant des siècles, qu’il écrive sur la guerre… La paix est un bon thème mais d’avenir !

Toujours est-il que La Paix en mode Canebière a une sacrée gouaille ! Si on est loin de l’Olympe, l’Olympique de Marseille est tout proche ! Le vigneron Trygée devient « Yves Rogne » (lire d’un trait comme une bonne rasade de vin !) et son bousier géant devient une machine volante carburant à la merde ! Un tel engin pour s’élever vers les dieux ? Ne sommes-nous pas « dans la merde » ? N’y sont-ils pour rien, ces immortels qui ont eu le culot de déserter leur résidence éternelle ? La connotation scatologique de la pièce est peut-être sa signification la plus politique puisqu’elle accuse la situation « cacatastrophique » de guerre généralisée dont se nourrit le « cacapipitalisme » avec la complicité de gourous-gouvernants ! Pour le reste, Yves Rogne reste actif et lucide, il ne ménage pas ses efforts pour délivrer la Paix séquestrée par Polémos, déesse de la guerre, et il le fait en rameutant ses gens et tout le public de La Criée. C’est beau l’action collective !

Quelle énergie sur scène et dans les airs ! En bleus de travail, joggings ou descendus des cintres tels des deus ex machina, chacun joue et s’amuse à jouer. Saura-ton vraiment pourquoi les humains se font la guerre ? On n’est pas là pour ça. On est là pour la paix, la concorde, l’amitié, la fraternité et la sororité, la fête, pas pour faire des analyses géopolitiques ! C’est une farce, pas une conférence savante, on vise la légèreté, à se délester des tonnes de merde que la réalité déverse sur nos consciences. C’est frais et festif, et c’est pour cela que le titre revisité de la pièce est affecté d’un coefficient d’ivresse : ce n’est plus « La Paix » mais « À la paix ! » comme on trinque bruyamment et allègrement à une chose si désirée et enfin arrivée et, en même temps peut-être, comme on rendrait hommage au plus drôle des Anciens, « à La Paix d’Aristophane» !

En parlant de porter un toast, saluons chaleureusement la belle équipe qui nous a offert tant de plaisir à entendre clamer un mot si absent du réel. Il faudrait citer tout le monde et c’est bien ce que l’on compte faire ! Sur la scène : Guillaume Pottier, Kristina Chaumont, Alex Fondja, Anne Levy, Frédéric Richaud, Aurélien Baré, Heddy Salem, Claire Bonfils, Maël Chekaoui, Victor Franzini, Marie Mangin, Gaspard, Juan Julia Touam et les élèves comédien.nes en alternance de l’ERACM. Assistant à la mise en scène Aurélien Baré, scénographe Samuel Poncet, création costumes Jean-Bernard Scotto assisté de Cécilia Delestre, création son Jérémie Tison, création lumière Julien Guerut, Régisseur général Philippe Chef, fabrication machine Ateliers Sud Side, Marseille Décor Eclectik Scéno, Dijon et Atelier théâtre de La Criée, danse Aurélien Descloizeau et le regard amical de Catherine Germain. Sans oublier Akhenaton qui a gracieusement offert à la production les droits d’IAM pour son rap « Paix » dont le sample dit en langue internationale : « Can we please have a moment of peace».

Arrivé depuis peu à la direction de La Criée, Robin Renucci s’inscrit définitivement dans l’atmosphère phocéenne de cette scène populaire en faisant un beau clin d’œil à un « collègue » du Vieux Port qui hante le théâtre contemporain. On pense bien sûr à Marcel Maréchal qui d’ailleurs monta la pièce en 1991 en disant qu’elle était « un squelette, qu’il faut nourrir d’une chair actuelle ». De la chair à l’incarnation théâtrale, on reste sur la même scène qui, le temps d’un spectacle au moins, nous offre l’exaltation de la vie, de la fête et de la fraternité.

« Au théâtre ! »

Jean-Pierre Haddad

Théâtre de la Criée, 30 Quai de la Rive Neuve, Marseille. Du 08 au 26 novembre 2023. Tournée à venir.

Photo : © Raynaud de Lage

https://theatre-lacriee.com/programmation/evenements/a-la-paix

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu