Lorsque sa mère et ses deux tantes sont venues le voir au festival d’Avignon, où il présentait une de ses créations, l’auteur et metteur en scène iranien Gurshad Shaheman les a écoutées parler de leur vie et a eu l’idée de ce spectacle. Ce sont des femmes fortes qui se sont battues toute leur vie pour tenter de mener la vie qu’elles voulaient, étudier, s’émanciper. Nées au début des années 1960 dans une petite ville des montagnes de l’Azerbaïdjan iranien, leur parcours de vie concentre tous les espoirs et les déceptions de l’histoire iranienne de la fin du siècle dernier. Elles ont fait des études, ont milité pour transformer la société en se débarrassant du pouvoir oppresseur du Shah d’Iran, ont traversé une révolution avec l’arrivée au pouvoir des Religieux qui a réduit à néant leurs espoirs d’une société meilleure et plus juste. Elles ont ensuite connu huit ans de guerre et, pour deux d’entre elles, l’exil. Elles se sont aussi mariées, ont eu des enfants, ont divorcé. A travers leur histoire personnelle passe l’histoire de l’Iran, mais aussi un portrait de la société iranienne, la religion, les inégalités et la corruption, la relation aux parents et aux hommes .
Gurshad Shaheman souhaitait leur donner leur place sur la scène mais deux des trois ne parlaient pas le français. Il a eu alors l’excellente idée de leur offrir un double. La mère et les tantes de l’auteur sont présentes sur le plateau, prennent en charge les actions théâtrales, apportent des fleurs, servent à table, se protègent des coups ou des bombes. Mais ce sont trois « conteuses » franco-iraniennes (Guilda Chahverdi, Mina Kavani et Shady Nafar), assises sur des chaises, qui, à tour de rôle, portent le récit de chacune. Gurshad Shaheman les a écrits en leur donnant force et beauté. Dans le parcours de ces femmes, il y a celle qui se fait piéger par sa famille et se trouve mariée trop jeune, celle que son militantisme conduit à la sinistre prison d’Evin, lieu de toutes les horreurs, celle qui finira par fuir les violences de son mari et le parcours du combattant pour obtenir l’asile politique pour celles qui ont choisi l’exil.
Le metteur en scène a choisi une scénographie qui évoque les petits restaurants de plein air de Téhéran où les tapis envahissent l’espace. Les clients y mangent sur des lits recouverts de tapis, certains spectateurs sont invités à y prendre place et avec un sens de l’hospitalité très oriental, le metteur en scène et sa famille leur offrent quelques sucreries et à boire. Au fond et à l’avant-scène deux plate-formes basses permettent d’évoquer les scènes narrées par les conteuses. Ombre muette toujours présente, Gurshad Shaheman interprète et danse une chanson azérie, soutenu par ses tantes et sa mère, entre chacun des trois chapitres. Il voulait que sa langue maternelle, brimée par le persan qui domine en Iran, puisse être entendue.
Ce pourrait être du théâtre documentaire, mais c’est beaucoup mieux, une histoire où l’intime tutoie le politique et le social. Et lorsque la mère et les deux tantes de l’auteur viennent à la fin mettre la main sur l’épaule de leur double, qui a parlé pour elles, une forte émotion saisit la salle.
Micheline Rousselet
Spectacle vu le 30 novembre au Théâtre 71 à Malkoff – le 6 décembre à l’Azimut à Châtenay-Malabry – du 25 au 28 janvier 2024 au Théâtre Dijon Bourgogne, CDN de Dijon – les 31 janvier et 1er février au CDN de Besançon
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