Draguignan, ancienne préfecture du Var et deuxième ville de garnison de France… Une petite ville un peu à part, pas de TGV, pas d’autoroute mais un dragon en armoirie ! Décentrement et fantaisie…
Le Collège Général Ferrié. Dix-sept élèves d’une classe de troisième – charnière scolaire entre collège et lycée et existentielle entre enfance et adolescence. Emma, Alexandre, Sébastien, Louann, Sarah, Noa, Benjamin, Jade, Samantha, Julien, Gabriel, Louise, Nicolas, Emma, Angèle, Dorian et Matteo.
Nous sommes en 2020-2021. Ils, elles vivent donc masquées et dans la distanciation sociale, un « sans contact » qui se paye d’une non consommation du désir. Bon, il reste les réseaux (a)sociaux ! Dans une salle du collège, un peu à l’écart, face caméra, les masques tombent et les bouches se délient dans l’hésitation et la timidité. Ils et elles s’expriment avec la douce force de ceux et celles qui savent que de toute façon leur jeune âge a forcément un avenir, peut-être noir tel qu’il se présente à eux, mais pouvant aussi être repeint à leur goût.
Le cinéaste Pascal Catheland et le chorégraphe Arthur Perole suivent discrètement les jeunes gens ou les interrogent mais en s’efforçant de rester peu audibles : ce qui compte ce ne sont pas les questions mais les réponses, les incertitudes, les doutes, parfois aussi les convictions de ces jeunes esprits en recherche de soi dans ces jeunes corps entravés par la pandémie. Alternant les prises sur le vif du quotidien scolaire et les plans fixes en salle-studio, la caméra de Catheland sait se faire oublier ou au contraire devenir un regard attentif. Les trois premiers épisodes traitent de la folie du monde, de la vie privée et des adultes. « On est bête, on ne fait rien, ça ne changera jamais. On ne pourra jamais changer les choses. L’argent, l’argent…» ou bien « Je crois qu’il ne nous reste pas cent ans à vivre » ou encore « Je me cacherai dans un sous-sol avec plein de livres et de nourriture. »
La tonalité est sombre mais les visages restent clairs, juvéniles. Comment imaginer qu’entre chaos climatique, guerres de partout et dérégulation de la vie socio-professionnelle, la jeunesse d’aujourd’hui puisse rêver l’avenir ? Parfois, leurs propos reflètent la banalité du monde tel qu’il est représenté par nos médias uniformisés. Le conformisme guette peut-être mais en attendant, c’est le blues de l’adolescence : « J’ai envie d’être un petit grain de sable, avec tous mes amis grains de sable. »
Au fil des entretiens, un projet de fête s’esquisse en coulisse, parler un par un puis danser tous ensemble… Après tout, la musique et la danse sont leurs langages favoris, un moyen pour eux de s’exprimer mieux qu’avec des mots, de s’échapper corps et âme. Le collectif fait surface au détour d’un cours de musique transformé en chorale. Tous alors communient (sous masques) avec la chanson « Mad World » de Roland Ozarbal, en traduction : « Aucun lendemain / Monde de fou, monde de fou /Agrandis ton monde »
Le dernier épisode s’intitule « En transe », il annonce la fête finale. Le mot évoque pour eux la transformation plutôt que l’abandon à la musique, le lâcher prise de la conscience, le laisser-aller du corps sur des rythmes hypnotiques. Pourtant, à la fin de l’année, un morceau de l’utopie chorégraphique d’Arthur Perole créée en 2019 avec la CieF renaît en Dracénie : son Ballroom envahit la nuit de juin et tous se retrouvent en plein air pour s’adonner à une transe techno, libre expression du corps subjectif, affectif et collectif.
Des rêves, ces jeunes en ont peu ou bien les taisent ; en revanche, leur rêve de rave se réalise en fin de tournage, comme une fin d’année scolaire qu’on n’oubliera pas.
En plongée dans le réel, le cinéma documentaire produit parfois des effets rêvés.
Jean-Pierre Haddad
Rêves, Pascal Catheland et Arthur Perole ( France, 2022, 100’). Sortie nationale 29 novembre 2023
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