Pedro Aguilera et Nathan Fischer n’ont pas voulu écrire la biographie des derniers mois de Rimbaud quand il avait renoncé à écrire et était parti en Abyssinie comme négociant. Marchand non pas d’esclaves comme on l’a parfois avancé, mais d’armes. De cette ultime aventure il voulait revenir « féroce et fort, libre et riche ».
Il ne s’agit pas d’une biographie mais de faire vivre de façon poétique ce voyage en enfer, cette fugue qui n’en finit pas avec ces onze mois d’attente à Tadjoura en 1886, ces échecs qui le conduiront au retour en France malade, avec pas un sou de plus que ceux qu’il avait au départ.
Partant des lettres que Rimbaud écrivit à cette mère dont il ne parvenait à s’arracher, le film a été tourné en une semaine non pas en Somalie à Tadjoura, mais au Maroc dans le village de Larache où est enterré Jean Genet. Dans ce village, (bien nommé pour un lieu dont Rimbaud n’arrive pas à s’arracher !), on le suit empâté, boitant, errant du port, où on ne le comprend pas et où on le renvoie d’un endroit à l’autre, aux ruelles en escaliers aux murs bleus qui montent vers un bureau où un fonctionnaire égrainant son chapelet de prière le regarde, ignorant ses demandes avec un sourire impersonnel. Les murs ocres écaillés le voient passer perdant peu à peu ses illusions, seul mais poursuivant sa quête de Don Quichotte pour l’argent qui le rendra libre. Parfois un jeune chamelier lui offre enfin une écoute humaine, parfois il part avec quelques chameaux espérant l’arrivée des armes qui le feront riche. Parfois il écrit à cette mère qu’il déteste pour la normalité qu’elle attend de lui, pour réclamer des livres techniques qui lui apporteront les connaissances nécessaires à ses projets. Le film s’éloigne assez vite de ces lettres pour se déployer comme un poème en images, où les scènes nocturnes faiblement éclairées de lumières vacillantes font apparaître un personnage mystérieux, des natures mortes de fruits plus ou moins en décomposition, ou une murène, ce poisson dont on dit qu’il ne lâche jamais sa proie à l’image peut-être de la mère du poète. Le film est construit en boucles où on voit Rimbaud sur le mêmes chemins, montant les mêmes escaliers, grimpant les mêmes ruelles, affrontant les mêmes échecs jusqu’à cet effacement final du poète sous une djellaba.
Le réalisateur Pedro Aguilera a trouvé en Damien Bonnard son Rimbaud. Il a la détermination de celui qui ne veut pas s’avouer vaincu à nouveau. Pour comble le comédien s’étant blessé aux premiers jours du tournage, son bras dans le plâtre s’est avéré parfait pour un poète qui ne veut plus écrire ! Il est impressionnant.
Un long et beau poème en images pour imaginer ce moment où le poète vécut « sa saison en enfer pour de vrai ».
Micheline Rousselet
Sélectionné par le ArteKino Festival 2023 avec 12 autres films de jeunes cinéastes européens, Splendide Hôtel sera visible sur la plateforme d’Arte pendant 4 mois à partir de décembre
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