Métie Navajo a écrit cette pièce à la suite d’une résidence au Mexique dans la région de Campeche où des artistes mayas lui ont fait rencontrer des paysans qui lui ont raconté des histoires familiales : déforestations massives, cultures intensives de céréales, cancers liés aux pesticides, arrivée du narcotrafic… Elle a aussi découvert avec étonnement au milieu des champs de sorgho une famille mennonite descendant des familles néerlandaises, allemandes, russes, rejetées par l’Église chrétienne pour leurs croyances proches des amish. Avec un grand talent, elle s’est inspirée de cette expérience pour écrire non pas une pièce réaliste mais une fable qui mêle réalisme, onirisme et poésie.
Dans le Mexique d’aujourd’hui, les époques et les cultures se rencontrent et se heurtent. Cécilia, jeune fille maya, vit avec son père dans son village menacé par la déforestation. Ils enterrent la grand-mère qui refuse la place qu’on lui a assignée au cimetière. Elle revient hanter sa petite fille à qui elle a appris la langue maya et réclame d’être enterrée au pied de ses arbres favoris. Cela donne lieu à des scènes à la fois très drôles et très poétiques entre Cécilia et son abuela. Pour gagner sa vie et ne pas quitter son père, Cécilia fait des ménages chez une famille mennonite. Les deux filles, Amalia et Catarina ont interdiction de lui parler. Mais Amalia, qui est avide de liberté et qui rêve de voir la mer, va transgresser l’interdiction et rejoindre Cécilia. Elles vont fuir ensemble. Leurs deux communautés, que tout semble opposer, sont à la marge de la modernité qu’elles vont subir à cause du projet de construction d’un chemin de fer.
La scénographe de Laurence Villerot a créé deux espaces épurés qui évitent les changements de décor d’une grande beauté. Au premier plan, sur un parallélépipède blanc quasi vide se succèdent les échanges entre les différents personnages. Plongé dans l’obscurité, un arbre imposant aux racines gigantesques occupe le fond de la scène, lieu de la nature, des vivants et des morts, du rêve. Mais il va être sectionné par une tronçonneuse, tout comme la Nature et la culture maya sont anéanties par la modernité. En doublant la présence des acteurs d’une ombre fantomatique, les lumières d’Ivan Mathis renforcent l’ambiance onirique.
Le metteur en scène Jean Boillot a choisi très judicieusement des comédiens et comédiennes, tous excellents, qui reflètent les différentes cultures : des acteurs sud-américains pour jouer la grand-mère et le père, des actrices parlant le français avec un fort accent d’Europe du nord pour jouer les jeunes femmes mennonites rendant plus prégnant l’opposition entre ces deux peuples. Le son occupe une place centrale. A la musicalité des différentes langues s’ajoutent les sons (beau travail de Christophe Hauser) provenant des travaux agricoles ou des machines de déforestation et ceux de la Nature (animaux, ouragan..). Le lien des Mayas avec la nature est très bien rendu notamment avec les appels du père auxquels répond le chant des oiseaux. La rencontre entre la jeune Maya et la jeune Mennonite n’est pas simple et leurs relations sont tour à tour violentes et complices dans la recherche d’une échappatoire à leur condition. De cette altérité emprunte de méfiance naît une sororité voire une relation amoureuse dans le but d’accéder à la liberté.
Métie Navajo et Jean Boillot ont créé un spectacle d’une grande beauté esthétique qui mêle politique (ravages de la modernité technologique, déforestation, culture intensive, expropriation des autochtones de leurs terres ancestrales, aliénation des femmes…) et poésie (langues et sons, jeu sur les ombres et les lumières, présence fantomatique de la grand-mère, arbre totémique, symbole du monde magique des croyances…).
Frédérique Moujart
Jusqu’au 12 octobre,à 20h20 au Théâtre de l’Echangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (93) – Réservation : 01 43 62 71 20 ou www.lechangeur.org – du 18 au 21/10/2023 au théâtre de la Joliette à Marseille – le 4/05/2024 au théâtre François Voguet à Fontenay-sous-Bois – le 14/05/2024 au théâtre de l’Onde à Vélizy Villacoublay
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