En ce temps où la population vieillit, où la réforme des retraites décidée par le gouvernement a mis des centaines de milliers de personnes dans la rue, où des enquêtes et des livres ont révélé le scandale de la maltraitance des vieillards dans des EPHAD, Christophe Montanez, sociétaire de la Comédie Française et Jules Sagot, comédien et dramaturge, ont imaginé une comédie grinçante sur la vieillesse.
L’heure étant aux économies, l’État ne sauvera qu’un des trois EPHAD destinés aux vieux comédiens. Pour départager Pont aux Dames, qui accueille les ancien.ne.s de la Comédie Française, la Ménardière destiné aux retraités du théâtre comique et l’hospice du Soleil réservé aux comédiens retraités de la Cartoucherie de Vincennes, un jeu télévisé, diffusé sur Impôts.gouv (!), permettra aux téléspectateurs de désigner l’EPHAD qui survivra pendant encore dix ans. Ce soir, c’est Pont-aux-Dames qui concourt avec une série d’épreuves allant du quiz à l’improvisation, en passant par la chanson et le détecteur de mensonges. Face au meneur de jeu lui-même sur le retour, les vieux comédiens et comédiennes se plient à des épreuves aux règles débiles ou se révoltent.
Le texte rappelle la véritable histoire de Pont-aux-Dames, un hospice pour les vieux comédiens, crée en 1905 par Benoît Constantin Coquelin et conçu pour vivre en quasi autarcie, avec son parc, son château d’eau, son potager, sa ferme, son théâtre et son musée. On savait les comédiens de la Comédie Française capables de tout faire, jouer, chanter, danser. Ils prouvent ici qu’ils savent aussi jouer des vieillards. Le cheveu en bataille ou rare, les rides envahissantes, boitant, marchant courbés avec difficulté, ou muets et perdus car atteints de la maladie d’Alzheimer, tous admirablement maquillés en vieux par Cécile Kretschmar, ils sont devant les spectateurs offrant l’image de ce qu’ils pourraient devenir quand l’âge avancera. Avec humour les deux auteurs et metteurs en scène ont à peine déformé leur nom, Alain Lenglet devient Martin Lallemand, Florence Viala devient Francine Valia, Julie Sicart devient Judith Sicaire, etc. Face à eux, Alban Vauqueur le meneur de jeu autoritaire et cynique, veut tenir son émission. Laurent Stocker est formidable dans ce rôle. Il virevolte, fait applaudir et crier les spectateurs à la commande, exige que la maquilleuse ne discipline pas sa mèche, semble insensible à ce qu’a d’indécent ce jeu jusqu’au moment, très court, où un peu d’empathie le gagne. Quant aux vieux comédiens, en dépit des moments où leur corps les lâche un peu, ils tentent de sauver leur EPHAD en mettant en œuvre leur talent singulier tout en gardant l’esprit du collectif, selon la devise de la Comédie Française, simul et singulis. Il y aura des moments de pure folie (la chanson de Nino Ferrer Des cornichons) et des moments de gloire car en dépit de l’âge, leurs grandes tirades, Bajazet et surtout Cyrano, sont encore imprimées dans leur mémoire. Il y a des moments de fous rires et des moments d’émotion quand Florence Viala tente de chanter Le temps des cerises ou qu’elle et Alain Lenglet s’appellent doucement, semblant avoir tout oublié sauf leurs prénoms. Il y a le sens de la solidarité mais aussi le discours de l’individualiste et enfin ce moment où l’un des comédiens (Clément Bresson) se lance dans un tombereau d’injures à l’encontre de ce présentateur et de ce jeu télévisé au cynisme totalement décomplexé.
On rit beaucoup, on est ému, c’est le théâtre !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 5 novembre à la Comédie Française Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h – Réservations : comedie-francaise.fr
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