Le Britannique Alexandre Zeldin nous a habitués, avec sa « trilogie des invisibles » Love, Faith, hope and charity et enfin Une mort dans la famille, présentés depuis 2018 à l’Odéon, à voir la réalité des laissés pour compte de nos sociétés. Cette fois il s’immerge dans l’intime en mettant en scène l’itinéraire d’une femme, sa mère, qu’il interroge et qui lui raconte sa vie, de sa jeunesse en Australie à son installation en Europe. Comme à son habitude, il nourrit son travail par des rencontres de femmes aujourd’hui âgées, qui ont traversé cette époque en Australie. Mais c’est une vie qu’il raconte, celle de sa mère.
Jeune fille de milieu modeste, Alice a envie d’apprendre mais rate son entrée à l’Université, se marie très jeune, divorce d’un mari qui s’avère rigide et violent, part en Europe, vit la révolution sexuelle avec plus de bas que de hauts, reprend des études, rencontre un homme plus âgé, qu’elle épouse et dont elle a deux fils. C’est l’histoire d’une vie simple, d’une émancipation.
Les changements sociaux, la guerre du Vietnam, les débuts du féminisme avec l’influence de Simone de Beauvoir, la révolution sexuelle forment un arrière-plan discret à cette histoire qui pourrait n’être qu’individuelle. Mais il y a la touche d’un auteur-metteur en scène Alexandre Zeldin.
Alice âgée, interprétée par Amelda Brown, se remémore sa jeunesse devant le rideau fermé. Quand elle passe derrière, c’est une Alice jeune qui surgit (formidable Eryn Jean Norvill) avec la fougue de la jeunesse et les rires entre amies. Bientôt arrive de la salle deux matelots dont l’un la séduira et deviendra son mari. Séparées par des ellipses, la mémoire d’Alice se focalise sur des scènes-clés, jouées par Alice jeune : la soirée entre amis où elle se lance dans un flamenco endiablé que réprouve sèchement son mari, ruinant l’ambiance et révélant l’homme violent qui se cachait derrière le jeune homme charmant, une autre soirée en Europe où la révolution sexuelle s’avère plus violente qu’elle ne la rêvait, la rencontre dans une bibliothèque universitaire avec celui qui deviendra son second mari, un repas avec ses enfants. Le présent – la vieille dame qui passe et repasse sur la scène, la voix de l’auteur disant à sa mère : « je suis heureux que tu aies encore changé de vie » – renvoie au passé : le petit garçon que fut ce fils. Comme portés par les hasards de la vie, des personnages arrivent de la salle. Neuf acteurs et actrices jouent tous les rôles. Le grave laisse place à l’humour, que même la mort ne détruit pas.
Alexandre Zeldin réussit à faire sentir la richesse et la dignité de la vie d’une femme dont le parcours peut sembler ordinaire, sa mère.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 15 octobre, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, 75006 Paris – en anglais, surtitré en français – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, samedi 14 octobre à 14h30 et 20h – Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu
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