Ils sont trois, trois hommes qui vont dire leur vie. Paul a fait fortune en inventant un jeu vidéo d’une violence extrême, dont l’idée lui est venue quand il a eu envie de massacrer un père odieux qui ne cessait de le dénigrer. Davey, abandonné par son père, a sombré dans la petite délinquance à l’adolescence jusqu’au jour où il a été victime de jeunes, accros à la violence, qui l’ont martyrisé et conduit aux portes de la mort après des heures de souffrances. Alan, le père de Davey qu’il a abandonné dans sa plus jeune enfance, veut se venger de Paul. Il estime que le jeu que celui-ci a inventé a inspiré les jeunes qui ont supplicié son fils.
Le texte du dramaturge gallois Gary Owen, admirablement traduit par Kelly Rivière (prix Nouveau Talent Humour de la SACD pour An irish story/Une histoire irlandaise) frappe fort. Il interroge les racines de la violence, l’influence des jeux vidéo hyperviolents, les relations toxiques au sein de la famille, fruit d’un patriarcat toujours dominant, le harcèlement scolaire, le culte de la virilité, de la performance, de la recherche du profit dans des sociétés néolibérales.
La mise en scène de Benjamin Guyot est sobre et sombre. Chacun des personnages, vêtu de noir, prend la parole à tour de rôle, seul en scène face aux spectateurs et éclaire un moment de sa vie. On démarre dans le mystère, la description d’une situation un peu étrange. Peu à peu la violence s’installe, familiale d’abord, mépris du père de Paul pour son fils, abandon pour Davey. La violence devient insupportable avec l’énumération des supplices infligés à Davey, puis ceux préparés par son père pour se venger de Paul. Le spectateur entend les mots de cette violence et son imagination fait le reste, à partir des instruments menaçants qu’Alan brandit contre Paul. La pièce joue des excès, excès de violence puis excès de pardon, car on passe de la noirceur des pires comportements humains à la mansuétude des fils prêts à pardonner et à prendre soin de leurs géniteurs indignes quand la vieillesse les atteint. On saute du cauchemar au rêve un peu brutalement.
Eric Antoine incarne un Alan qui cherche le pardon de son fils en le vengeant. Antoine Cordier incarne Paul, un homme qui attend vainement un compliment de son père et ne récolte que sarcasmes. Il est dans la colère et le déni de responsabilité par rapport à la violence de ceux qui s’inspirent dans la vraie vie de son jeu. Il a peur aussi. Thibault Rigoulet a le sourire narquois du jeune délinquant qu’est devenu Davey, il sue sa peur et hurle sa douleur avant de partir vers la lumière.
Emporté sur des montagnes russes émotionnelles, le spectateur est contraint de se confronter à sa conscience morale.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 15 octobre au Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis Passage Ruelle, 75018 Paris – mercredi et vendredi à 21h, le dimanche à 18h – Réservations : 01 40 05 06 96 ou www.reineblanche.com
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