Une famille rassemblée dans l’attente du fils prodigue, Yoann, libéré après quatre ans de prison. La banderole de bienvenue est là mais l’attente se prolonge, les secrets se révèlent et les liens familiaux explosent. La mère ne voulait pas d’enfant, le père a été détruit par ce fils, qu’il avait réussi à caser dans l’entreprise où il travaillait depuis tant d’années, et qui est parti en emportant la caisse, les obligeant à quitter la région en raison des insultes de leurs anciens collègues et amis. Il y a aussi les jalousies et les rancœurs des deux sœurs et de leurs compagnons. Malou, l’aînée ne peut avoir d’enfant et jalouse sa sœur qui en a un dont elle ne s’occupe guère, Vanessa la cadette en a plus qu’assez de cette sœur qui fait tout trop bien. Enfin il y a l’amant que Yoann a laissé tomber et agressé.
Cela fait plus de trois ans que Laurent Mauvignier travaille sur Proches. Il y a eu le roman, un court métrage, un travail sur une version théâtre, interrompue par le confinement, pendant lequel l’auteur s’est attaché à une réécriture jusqu’à penser qu’il devait lui-même prendre le risque de la mise en scène pour que le texte se réalise.
Comme il le dit « Au théâtre comme au cinéma, rien n’est plus classique que le huis-clos familial… Le rendez-vous de famille offre une infinité de variations : c’est à la fois toujours la même chose et jamais pareil ». Ici, à travers révélations et non-dits, les peurs, les mesquineries, les lâchetés, les petites haines recuites se révèlent. Sans cesse l’un ou l’une demande « tu vas leur dire ? » et invariablement la réponse tombe « quand ce sera le moment » ou « là ce n’est pas le moment ». Les paroles sont déversées par tombereaux pour éviter que le silence s’installe, un silence qui inviterait à penser que l’on peut haïr ses proches. Plus qu’au principal intéressé Yoann (Maxime Le Gac-Olanié), qui ne fait que passer et repasser tel un fantôme silencieux et indifférent, tapant par terre une balle de tennis, c’est à l’onde de choc qu’il produit sur son entourage que s’intéresse l’auteur.
On pense bien sûr à Juste la fin du monde, mais à la différence de Louis, héros de la pièce de Lagarce, Yoann n’est qu’un petit salaud et puis l’écriture de Laurent Mauvignier est très différente, avec ses fractures, ses ruptures, ces moments où les mots des personnages se percutent, se chevauchent.
La pièce doit beaucoup à la mise en scène très réussie de l’auteur et au talent formidable des comédiens. Cyril Anrep, Lucie Digout, Charlotte Farcet, Arthur Guillot forment le quatuor familial, les deux sœurs et leurs compagnons, auquel s’ajoute Clément (Pascal Cervo), l’ancien amant de Yoann, invité à sa demande. Enfin il y les parents, le père (Gilles David) qui a accepté, n’a rien dit et a préféré fuir au loin avec sa femme les jugements de ses anciens camarades, et surtout la mère, Nora Krief, superbe, se demandant si son rouge à lèvres ne va pas faire « un peu pute » aux yeux de ses filles. Émotion contenue, calme tentant de tenir ce qui peut encore l’être, lucide, elle est la seule à oser dire ce qu’elle pense de ce fils et à s’interroger sur l’aveuglement de tous face à Yoann.
Une pièce féroce sur tout ce qu’il peut y avoir de chaos dans les relations familiales et où la dernière phrase sonne avec une ironie cinglante : « Il faut attendre, il va arriver. Qu’est-ce qu’on va faire en l’attendant ? »
Micheline Rousselet
Jusqu’au 8 octobre au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris – du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 44 62 52 52 ou www.colline.fr
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