« Voyage à Zurich«
Maïa est âgée et atteinte d’un cancer incurable. Elle a décidé de mourir en paix et pour cela il lui faut partir car ici on refuse de l’aider à mettre fin à ses jours avec efficacité et sérénité. « Fin de vie assistée ». N’ayons pas peur des mots, suicide assisté ou même euthanasie volontaire, vouloir « bien mourir » selon l’étymologie. Le sujet fait débat, alors pourquoi ne pas en faire théâtre ? Il le faut, sinon le théâtre perdrait sa raison d’être comme scène où l’on peut rendre présent tout ce qui fait la vie des humains et donc aussi ce qui la défait, la mort. Maïa a pris sa décision, elle a tout planifié. Depuis, un certain sentiment de légèreté voire de joie calme l’habite. Elle est rayonnante et sereine tel un sage qui aurait soustrait sa vie au déroulé aveugle du destin par des choix réfléchis et pertinents. Elle veut sa fin de vie et sait comment l’obtenir paisiblement ; donc plus rien ne la trouble. Il ne lui reste qu’à faire ce dernier voyage, prendre la route une dernière fois, déguster un dernier bon repas, répondre une dernière fois aux questions de ceux qui ne comprennent pas, faire à tous un dernier sourire. Des proches l’accompagneront mais surtout un ange du passage de vie à trépas – non pas un funeste ange de la mort qui n’aurait plus rien à annoncer ! mais bien un passeur, un « facilitateur ». Bien sûr, Maïa peut changer d’avis à tout moment, elle est souveraine mais elle semble si heureuse de partir. En attendant, elle répond à son entourage avec simplicité mais faisant preuve d’une belle détermination.
Maïa, c’est Marie-Christine Barrault. Elle a peut-être l’âge de son personnage et c’est pour nous un vrai bonheur de la voir l’incarner avec le talent qu’on lui connaît. La comédienne porte le rôle avec grâce, maestria et aisance. Son jeu en impose certes, mais il exerce aussi un charme qui envahit tout le théâtre. À ses côtés, Arben Bajrataraj, acteur albanais originaire du Kosovo et ayant travaillé entre autres aux côtés de Denis Lavant dans Le rêve d’un homme ridicule d’après Dostoïevski. Il tient le rôle du passeur. Il incarne avec étrangeté et agilité l’ange qui accompagne Maïa avec bienveillance. Il porte élégamment un frac noir ouvert sur un ventre de femme enceinte en dentelle blanche, symbole du lien biologique entre vie et mort, de naissance à trépas. Yannick Laurent joue le fils, opposé au choix maternel et hystériquement inconsolable ; Magali Genoud campe une belle fille qui désapprouve par religion mais se retient de tout commentaire ; enfin, Marie Christine Letort incarne l’amie de toujours, celle qui comprend le mieux la décision de Maïa. Ils et elles jouent avec dynamisme et justesse au rythme des entrées, des sorties et des changements de décors, des flashbacks ou des flashforwards tous parfaitement réglés ; cela compte aussi et donne à ce voyage une vive allure. Il faut dire que la mise est scène de Franck Berthier est une réussite : le grand cube blanc fait de voilages et de tulle recevant par moment des images vidéo, suggère à la fois un milieu protégé – rien ne semble pouvoir atteindre la quiétude de Maïa – et une sorte de laboratoire où s’élabore en acte et sans pathos une réflexion sur la fin de vie. Pour monter Le voyage à Zurich, Berthier a librement adapté le roman éponyme de Jean-Benoît Patricot, magnifique adaptation riche en effets, affects et idées.
Si vous doutez encore que le théâtre puisse allier merveilleusement intérêt du contenu et beauté de la forme, faites ce Voyage, vous n’en reviendrez pas !
Jean-Pierre Haddad
Avignon Off – Présence Pasteur, 13 rue Pont Trouca, à 16h20. Informations et réservations : 04 32 74 18 54
https://www.vostickets.net/Billet/PGE_MUR2_WEB2/eCQAAJMtdpchABj20Cn_ecd9r5g Relâche le mercredi
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu