L’écrivain suisse Blaise Cendrars s’est engagé dans les rangs des volontaires étrangers de l’armée française, devenus ensuite Légion Étrangère, lors de la déclaration de guerre en 1914. Il perdra son bras droit dans les combats en 1915 et écrira La main coupée, parue en 1946, où il raconte avec humour la pagaille qui règne dans l’armée française à ce moment et face à cela le courage, la fraternité, la débrouillardise des soldats au front et dans les tranchées.
Ariane Pick Prince a adapté le texte de Cendrars comme un hymne à la désobéissance nécessaire pour survivre et garder un peu de liberté de penser face aux ordres absurdes. On entend Cendrars laisser libre cours à son esprit frondeur et manier l’humour avec gourmandise. Au Général qui lui demande ce qui ne va pas, il répond « la guerre mon général, c’est trop long ! ». Il pointe avec une ironie féroce les contradictions du système, on utilise ses compétences linguistiques (lui qui outre le français parle l’allemand et le russe) mais on lui reproche à l’occasion d’être, tout comme ses camarades, un étranger. La guerre vue du côté français apparaît comme une grande pagaille. Tandis que les soldats souffrent du froid et de la faim, côté allemand les tranchées sont équipées d’électricité et de chauffage. On tire des milliers de cartouches pour rien et un Général s’est mis en tête d’exiger de leur groupe la capture d’un prisonnier. Au milieu de cet immense désordre les mesquineries de la bureaucratie et la bêtise des gradés s’épanouissent allègrement.
Ariane Pick Prince crée une atmosphère qui, sans chercher le réalisme, nous emporte dans les tranchées avec des fumées évocatrices des combats mais aussi des brumes du Nord et un décor sonore suggestif. Les fusils deviennent rames à l’occasion et, en fond de scène, une table devient le lieu où l’on déploie une carte, où on partage un café ou où on joue aux cartes. C’est un chiffon rouge, tombé d’on ne sait où, qui symbolise la main coupée et la stupeur de celui qui vient de perdre son bras.
Aux côtés de François Pick, qui incarne un Cendrars débrouillard, frondeur et ironique, trois autres comédiens (Pierre Pfauwadel, Jacob Porraz, Gilles Vajou) campent ses camarades de combat semblant parfois s’extirper avec peine de la boue, comme écrasés par leur sac à dos. Vêtus d’une veste et d’un pantalon bleus clairs, comme un rappel de l’uniforme bleu horizon des soldats de la Grande Guerre, ils incarnent ces soldats auxquels Cendrars a donné une histoire. Quand au final sa voix dit « L’atroce c’est qu’aucun de nous n’est un héros, la majorité sont tombés sans savoir pourquoi » et qu’il aligne leurs noms, l’émotion est là.
Une belle adaptation emplie d’humour, d’ironie et de fraternité humaine du livre de Cendrars.
Micheline Rousselet
Spectacle vu à la Nef de Pantin en avant-première du Festival Off d’Avignon – du 7 au 29 juillet au Théâtre des Lucioles, 10 rue du Rempart St-Lazare à Avignon, tous les jours à 13h45 sauf les mercredis – Réservations : 04 90 14 05 51
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