Pour sa 36e édition, le Festival des Châteaux de la Drôme présente durant tout l’été au Château de Grignan L’Avare monté par le très moliéresque Jérôme Deschamps. Exceptionnellement, le festival présente donc une reprise puisque la pièce a été créée au Théâtre National Populaire de Villeurbanne à l’automne 2022 et jouée aux Abbesses à Paris en avril. La rencontre entre Molière et Deschamps qui ne date pas d’hier, ne relève pas du hasard. Il y a une accointance secrète entre ces deux êtres de théâtre. L’esprit de la farce, la drôlerie du jeu ajoutée à la subtilité du contenu, l’improvisation bien sentie, une certaine gouaille et une folle envie de partage avec la troupe et le public, voilà ce qui les réunit à quatre siècles d’intervalle.
On croit connaître la pièce mais un classique est une œuvre si riche et si complexe que l’on peut indéfiniment la revisiter et y trouver des choses nouvelles. La mise en scène de Deschamps, inventeur des Deschiens, a l’intelligence de tout axer sur l’intensité du jeu articulée à la trajectoire de la pièce ; le final est sublimé de telle sorte que le contrepoint de la passion maladive d’Harpagon l’emporte dans une sorte d’apothéose où la générosité joyeuse d’Anselme triomphe sans conteste. Face à Harpagon qui disloque les liens filiaux ou sociaux par sa passion égoïste, Anselme qui se révèle au moins aussi riche que lui en la personne de Dom Thomas d’Alburcy, fait droit à l’amour et à l’individu tout en réconciliant la petite société avec elle-même et pacifiant les rapports. Même Harpagon est content de gagner un habit neuf ! D’un côté, retenue et économie maladives, de l’autre dépense et répartition joyeuses. Molière aurait-il voulu opposer deux éthiques et usages possibles de la richesse ?
Le théâtre de Deschamps est lui-même d’une grande générosité. Sur le plateau vide, clos en son fond par une palissade qui fait signe en direction des tréteaux de L’illustre Théâtre, Deschamps lui-même et sa troupe donnent pleine expression à leur désir de comédie et au nôtre. Le jeu est relevé et enthousiaste, libre et tenu à la fois, décomplexé et tellement juste ! Les personnages y gagnent une énergie nouvelle, telle Élise incarnée par Bénédicte Choisnet qui plus que jamais apparaît comme une jeune femme à la fois rebelle et digne. Valère joué ce soir-là par Geert Van Herwijnen avec précision et dynamisme se révèle un moteur essentiel de l’intrigue et de son dénouement anti-avaricieux. Jérôme Deschamps lui-même incarne à la perfection un avare facétieux et insolent d’assurance tout en lui conférant une tendre humanité, après tout cet homme sait aussi aimer, sauf qu’il ne sait aimer que l’argent et sa rente ! Portée par le sens du vrai théâtre populaire insufflé par Maître Jérôme, toute la troupe se donne à un public vibrant et reconnaissant. Saluons encore Stanislas Roquette (Cléante), Lorella Cravotta (Frosine), Vincent Debost (Maître Jacques), Fred Epaud (Anselme, Brindavoine), Hervé Lassïnce (La Flèche) Louise Legendre (Mariane) et Yves Robin (Maître Simon, Dame Claude, le Commissaire). Sous l’impulsion du maître, tous jouent à merveille avec un bel esprit de troupe, une grande vivacité et un sens du don. Les costumes de Macha Makeïeff apportent une réelle contribution à la réussite du spectacle.
Sous le ciel étoilé du Château, le Grignan 2023 a décollé avec les bravos d’un public nombreux et divers. On lui souhaite un très bel été !
Jean-Pierre Haddad
Au Château de Grigan du 23 juin au 19 août 2023 à 21h (accès à partir de 20h30). Infos et réservations : 04 75 91 83 65 & https://www.chateaux-ladrome.fr/fr/
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