Lisaboa Houbrechts, issue du dispositif P.U.L.S. (trajet quadriennal destiné à mener de jeunes artistes à créer des projets pour de grandes scènes) s’est imposée comme l’une des jeunes artistes très prometteuse de la nouvelle scène flamande. Elle a choisi de mettre en scène Médée d’Euripide dans la traduction de Florence Dupont qu’elle a adaptée.
Dans un immense espace vide, un cri effroyable, sorti des entrailles, retentit. C’est celui de Médée, jouée par la jeune pensionnaire de la Comédie-Française, Séphora Pondi, qui apparaît peu à peu quand le voile bleu nuit qui l’entoure s’élève vers le ciel, superbe tableau. Ce cri traduit la douleur infinie de Médée trahie par son amant Jason pour qui elle a volé à son père, roi de Colchide, la toison d’or et tué son propre frère. Elle a suivi Jason à Corinthe où il a décidé d’épouser la fille de Créon, Créüse. Créon, se sentant menacé, ordonne l’exil de Médée et de ses deux enfants. Elle obtient de lui 24 heures de répit qu’elle va utiliser pour se venger. Elle use de ses talents de magicienne pour offrir à Créüse une robe empoisonnée qui va la consumer et entraîner la mort de Créon. Lorsque Jason vient réclamer vengeance, il découvre avec horreur que Médée a aussi tué leurs deux enfants.
Lisaboa Houbrechts, Clémence Bezat à la scénographie et Anna Riza aux costumes ont créé un spectacle esthétiquement très réussi offrant plusieurs tableaux de toute beauté : le chœur de femmes et d’hommes vêtus de costumes antiques et géométriques blancs, les vêtements d’enfants étendus aux fils qui descendent des cintres, la sculpture monumentale finale de statue antique qui, en unissant les deux moitiés du bas visage, symbolise à la fois le tombeau des enfants et le char sur lequel trône Médée en majesté enfin libérée de la vie terrestre. On retrouve dans cette esthétique spectaculaire la volonté de la metteuse en scène d’emprunter un langage aux arts visuels et à la musique. Niels Van Heertum accompagne par ses variations musicales l’intensité du spectacle.
Séphora Pondi est une magnifique Médée qui donne au personnage toute sa puissance. Elle crie avec force sa douleur, sa souffrance mais fait éclater aussi sa volonté impitoyable de vengeance. avec une froide détermination. Suliane Brahim, qui joue Jason, traduit avec beaucoup de sensibilité toute sa douleur et sa sidération dans la scène finale. Même si dans l’antiquité les rôles de femmes étaient jouées par des hommes, avoir choisi de faire jouer les rôles de Jason et d’Egée, sorte de double de Jason, par des femmes (Suliane Brahim et Anna Cervinka) affaiblit la violence de la relation entre Médée et Jason. Cet affadissement se retrouve dans le parti pris de supprimer du texte d’Euripide toutes les répliques agressives. De même, le choix de faire tourner Créon ( Didier Sandre) autour de Médée pour montrer son impatience à l’exiler et sa volonté de la circonscrire agace et affaiblit sa grandeur de roi. Bakary Sangaré en nourrice narratrice, conteuse déplorant l’enchaînement implacable des événements est très convaincant.
L’ajout par Lisaboa Houbrechts d’Aphrodite (Léa Lopez), personnage qui n’existe pas chez Euripide, peut se défendre. Elle est la cause de tous les maux et Médée la tue de ses propres mains, montrant ainsi qu’elle renonce à l’amour terrestre. A ce moment, elle détache de son vêtement noir cet horrible cœur rouge totalement kitsch et inutile. Cette libération lui permet d’accéder à la parole et à l’action, sa langue n’est plus en ruine : Je cherchais mes mots et finalement ce sont des phrases complètes que j’ai reçues. Elle sort de la douleur pour préparer minutieusement sa vengeance. Avec sa coiffure en brosse ressemblant à un casque de guerrière, elle entre en guerre contre Jason.
Si on peut reprocher à la metteuse en scène de tirer la pièce vers le problème du genre, thème anachronique, on doit lui reconnaître d’avoir mis en valeur deux thèmes présents chez Euripide et encore très actuels. : la situation des femmes victimes des hommes et la question migratoire.
Un spectacle qui mérite d’être vu pour la beauté de la scénographie et pour Séphora Pondi, une Médée époustouflante, promise à un bel avenir.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 24 juillet à la Comédie-Française, Place Colette, Paris 1er – Réservations : 01 44 58 15 15 ou www.comedie-francaise.fr
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