Gérard Watkins après voir obtenu en 2022 le Grand prix de Littérature dramatique pour sa pièce Scènes de violences conjugales nous plonge avec son nouveau texte Voix dans le monde inouï des entendeurs de voix . Il a composé cette pièce à la suite d’études sur l’hystérie effectuées pour son spectacle Ysteria en 2019. Il s’est aussi beaucoup inspiré des Réseaux des Entendeurs de Voix, mouvement né en 1987 aux Pays Bas et arrivé tardivement en France en 2011. En proposant des cercles de paroles, il a pour but de sortir les entendeurs de voix des traitements médicamenteux et du diagnostic invalidant et excluant socialement de schizophrénie.
Le spectacle s’ouvre sur un espace vide de type hangar avec au fond un mur délabré au rideau métallique fermé. Ce no man’s land au milieu de nulle part est à l’image des trois jeunes gens qui s’y retrouvent pour un groupe de paroles orchestré par la voix de Gérard Watkins qui est projeté du fond de la salle et les incite à témoigner des voix qui les obsèdent. Sous son impulsion, Manon (Marie Razafindrakoto), Eloïse (Lucie Epicureo) et Clément (Malo Martin) font vivre avec colère, souffrance mais aussi distance et humour les voix qui les importunent mais sans lesquelles ils sont perdus. Il ne s’agit pas de les faire taire définitivement mais de les comprendre, de les maîtriser et même d’entendre ce qu’elles ne disent pas comme le dit Véronique (Valérie Dréville), femme plus âgée, nouvelle venue dans le cercle.
Les trois jeunes l’écoutent avec une attention pleine d’empathie cette femme qui jusque-là avait tu la présence de ces voix. Restée seule sur scène, elle fait surgir les quatre voix qui l’habitent depuis l’enfance. Avec sensibilité, force et talent,Valérie Dréville incarne le morse, la petite fille et le garçon, témoins intérieurs des blessures et de la vie fracassée de Véronique .
Le mur du fond tombe et dans un dernier tableau époustouflant de réalité, d’onirisme et de fantasmagorie, nous sommes projetés dans l’espace mental de Véronique et découvrons au piano Camille Prenant qui a accompagné avec élégance et pertinence tout le spectacle.
Avec ce spectacle exigeant, Gérard Watkins nous interroge sur la normalité, la folie et le traitement que notre société inflige à celles et à ceux qui sont en dehors des normes. Entendre des voix relève de l’aliénation, de l’anormalité et exige un traitement ou un enfermement alors que dans d’autres sociétés, ces voix sont signes que les Dieux, les anges ou les fantômes nous parlent. Au lieu de vouloir les faire taire, il faut les accepter, les écouter et essayer de comprendre ce qu’elles ont à nous révéler.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 21 mai du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h au théâtre de la Tempête, Route du Champ-de-Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12ème – Réservation : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr – Du 5 au 8 décembre à la Comédie de Saint-Etienne – E création au théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, les 26 et 27 avril 2023 (coproducteur).
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