Au début du XVIIème siècle à Paris trois peintres se rencontrent et parlent d’art. Un jeune homme hésite devant la porte de l’atelier de Franz Porbus, un peintre au sommet de son art célèbre par son portrait d’Henri IV. Le jeune homme s’appelle Nicolas Poussin, il est encore inconnu, mais voudrait apprendre les gestes justes auprès de son aîné. Il profite de l’arrivée d’un vieil homme pour s’introduire à son tour dans l’atelier. Le vieillard, Maître Frenhofer, respecté de tous, reconnaît le talent de Porbus, mais trouve que la Sainte de son tableau n’est « qu’un pâle fantôme » . Il lui manque la vie et autour d’elle l’air ne circule pas. Porbus sait que Frenhofer a peint un tableau sublime, le portrait de Catherine Lescault, que nul n’a encore vu et qu’il cache aux yeux de tous, car il n’en est pas encore pleinement satisfait. Nicolas Poussin va lui proposer un modèle à la beauté parfaite, sa jeune amoureuse Gillette. En échange Frenhofer promet à Poussin et Porbus de leur montrer l’œuvre achevée. Gillette hésite mais, devant le désir de celui qu’elle aime, elle accepte. Lorsque Poussin et Porbus verront enfin l’œuvre, deux surprises les attendent.
L’actrice Catherine Aymerie a adapté la nouvelle de Balzac. Celle-ci prend des allures mystérieuses d’enquête que l’on suit avec passion, l’imagination stimulée par l’écriture de Balzac. Si Poussin et Forbus sont connus dans l’histoire de la peinture, Frenhofer est un personnage imaginé par Balzac. La nouvelle s’attache au désir de perfection et d’absolu de l’artiste, aux pulsions destructrices qui peuvent s’emparer de lui et à la confrontation entre la vie et l’art.
La mise en scène de Michel Favart nous place hors du temps. Sur scène un fauteuil de velours bleu et un petit guéridon sur lequel sont posés un verre et une carafe de vin. Aucun tableau au mur, pourtant les trois hommes ne cessent d’en parler et leurs commentaires ne font qu’aiguiser l’imagination des spectateurs. Une bande son rythme le récit et accompagne les commentaires de ces tableaux que chacun est libre d’imaginer.
Catherine Aymerie vêtue d’un beau caftan brodé, doublé de soie turquoise, passe de la narration aux dialogues. Elle s’assied, se lève, enlève ses gants, boit un verre, semble s’emparer d’une palette, s’appuie sur le mur. Un léger sourire anime parfois sa bouche, ses yeux brillent, son visage exprime tour à tour la curiosité, l’observation, la surprise, le désir, l’ironie, l’émerveillement, l’inquiétude ou l’amertume. La lumière (très beau travail de Kostas Asmanis) sculpte son visage et valorise ses expressions. On glisse de l’ombre à la lumière, on imagine les tableaux. Sa voix module, elle s’excite, elle évoque sans jamais chercher à l’imiter celle du jeune homme intimidé, celle du vieillard sûr de son talent, de Poussin culpabilisé par l’intuition qu’il est en train de sacrifier son amour à la réussite artistique ou encore celle de Gillette amoureuse. Créant un rapport intime avec les spectateurs dans la petite salle de l’Essaïon, elle les accroche, ouvre les portes de leur imaginaire et sublime le pouvoir de l’écriture.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 27 juin au Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, 75004 Paris – lundi et mardi à 19h15, dimanche à 19h30 – Réservations : 01 42 78 46 42 / www.essaion.com
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