Pour fuir la médiocrité du quotidien d’une famille complètement déjantée Geneviève a décidé : elle est Catherine Deneuve. Il faut dire qu’avec un père parti, revenu, puis reparti sans rien dire, une sœur Marie qui se scarifie dès qu’on la quitte des yeux, un frère mutique et une mère qui se souvient de ce qui aurait pu être quand elle chantait dans des petits cabarets au Québec et fait désormais ce qu’elle peut, on comprend que Geneviève ait cherché sa façon de fuir le désordre familial.
Ce texte de Pierre Notte est un cri de souffrance à l’humour implacable et cruel, un cri des amours déçus, de l’abandon, de la solitude, une « comédie féroce des dévastations familiales » avec ses espoirs perdus, ses déceptions et ses espérances qui ne veulent pas mourir. Les répliques sont drôles, acides, féroces. On est conscient des blessures que créent les « micro-cataclysmes des façons de dire au sein de la famille » et pourtant on rit. Geneviève, telle Catherine Deneuve dans Peau d’Âne, jette sa bague dans le gâteau que prépare sa mère, des répliques cultes de la star se faufilent dans ses mots. Le fils mutique ne prend la parole que pour corriger les fautes de français de sa mère. La mère s’échappe dans la cuisine, exige que sa fille mange ce qu’elle a préparé, s’énerve de ce que le gâteau ne soit pas préparé exactement comme sa recette l’exige. Marie se scarifie, sa mère oscille entre exaspération et amour qu’elle n’arrive pas à dire, se contentant de laver les tâches. Geneviève elle a décidé qu’elle est Catherine Deneuve, parce que « Catherine Deneuve, elle fait ce qu’elle veut ».
La scénographie place au centre la cuisine, lieu de la mère et des moments familiaux, côté cour un espace qui est celui de Geneviève-Catherine, côté jardin une scène surélevée où Marie vient chanter au-dessus d’un pianiste de dos qui peut être le père ou le fils. Devant, un micro sur pied où les personnages peuvent venir chanter.
C’est la première mise en scène de Christabel Desbordes, qui a fait partie de la compagnie de Thomas Bellorini, et c’est une réussite. Dans cette pièce la parole est aux femmes, les hommes sont partis ou quasi mutiques, en tous les cas incapables de parler de leurs sentiments. Ce sont donc des actrices qui interprètent tous les personnages. Au cœur du texte mordant, parfois cruel et brutal surgissent des chansons écrites par Pierre Notte, remises en musique par Agnès Rouquette, qui dans la pièce est à la fois le pianiste et le fils mutique, et Guillemette Beaury. Elles apportent avec humour des allusions au monde des films de Catherine Deneuve ou expriment le regret des amours perdus (J’ai le cœur qui se casse ou Emmène-moi danser ce soir) et des attentes déçues (Les parapluies de Cherbourg). Blanche Rérolle est Geneviève, flamboyante comme Catherine Deneuve, en robe jaune d’or ou rouge éclatant, virevoltant avec ses filets remplis d’œufs qu’elle dit offerts par ses admirateurs. Mais elle est aussi cette fille fracassée qui veut s’éloigner de cette famille et attend celui qui l’en sortira. Valentine Roy campe une mère dépassée, incapable de dire son amour, abandonnée, désespérée, en train de perdre la partie face à ses filles qui cherchent leur liberté. Guillemette Beaury est Marie, qui cherche l’amour de sa mère et de sa sœur et dont les bras se couvrent de sang. Elle porte une petite lumière au fond des ténèbres familiales et se transforme en chanteuse magnifique sur la scène de ses rêves. Toutes trois en crèvent de s’aimer. Elles sont superbes et nous laissent au bord des larmes.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 28 février au Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, 75011 Paris – le lundi à 19h15, mardi à 21h15, dimanche 72 34 ou theatredebelleville.com
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