L’auteur, Gérard Savoisien, après avoir écrit Mademoiselle Molière spectacle pour lequel Anne Bouvier a reçu le Molière 2019 de la Comédienne, a de nouveau offert un très beau texte à Béatrice Agenin qui joue Marie des Poules, la servante de George Sand. Le spectacle et la comédienne ont reçu le double Molière du spectacle et de la comédienne du théâtre privé et Arnaud Denis, metteur en scène et comédien qui joue Maurice, le fils de George Sand a lui reçu le prix du meilleur comédien par le jury « Avignon à l’Unisson ». Beaucoup de récompenses pour un très beau spectacle qui les mérite amplement.

Marie Caillaud entre à 15 ans au service de George Sand. On l’appellera Marie des Poules pour la différencier de la cuisinière qui s’appelle aussi Marie. George Sand qui croit que seule l’éducation libère et qui trouve cette jeune femme intelligente va non seulement lui apprendre à lire, à écrire mais aussi à jouer la comédie dans les pièces qu’elle écrit. Elle participera également aux soirées et passera de servante à gouvernante. Gérard Savoisien, en disciple de George Sand, nous montre à travers l’évolution de Marie comment l’instruction libère. De petite fille inculte, naïve qui s’exprime en patois, elle va devenir une jeune femme cultivée, avide de tout connaître, de tout voir et une analyste très fine des rapports de classe et des relations entre hommes et femmes. Elle comprend rapidement que Maurice, le fils de George Sand, le dilettante, oisif sous la domination de sa mère, n’a que du désir pour elle, qu’il ne l’épousera jamais et ne reconnaîtra pas l’enfant qu’il lui fait. Elle sait qu’elle l’aime sans espoir. Mais Gérard Savoisien montre aussi toute l’ambiguïté de George Sand : c’est elle qui oblige son fils à se marier quand elle découvre son aventure avec sa servante, elle méprise les « ‘amours ancillaires ». Elle, la féministe libérale qui prône l’égalité entre les hommes et l’égalité hommes femmes, choisit les conventions : elle a peur pour sa réputation, elle veut une descendance dont elle n’ait pas à rougir, elle ne veut pas être en butte à des moqueries. La servante est une figure bien plus noble que la maîtresse et on voit la différence entre les discours et les actes.

La mise en scène d’Arnaud Denis, le décor de Catherine Bluwal et les lumières de Laurent Béal nous plongent dans l’ambiance de l’époque et dans le domaine de Nohant reproduit sous la forme d’une maison de poupées. Marie joue avec les figurines représentant les personnages et Maurice manipule les marionnettes, créées par Julien Sommer, figurant sa relation avec Marie. Ne sont-ils pas tous les deux les marionnettes manipulées par la société ? Marie restera enfermée dans sa classe sociale malgré son instruction et Maurice devra se plier aux règles de la société et de sa mère.

Les deux comédiens sont remarquables. Béatrice Agenin, qui a été sociétaire de la Comédie Française de 1974 à 1984, nous subjugue par sa force, sa finesse de jeu, sa sensibilité, son enthousiasme, son humour et sa douleur. Quand le rideau s’ouvre, à une petite table de bar, elle est Marie profondément blessée, vieillie et abîmée. Elle défait ses cheveux, se tourne et devient en un instant la petite fille de 11 ans naïve qui s’exprime dans un patois qui nous fait rire. Pendant tout le spectacle, elle vole d’un rôle à l’autre : elle a tous les âges de Marie, toutes ses passions, ses blessures. Mais elle joue aussi George Sand la mère qui s’adresse à son fils adoré avec dureté et intransigeance ; George Sand la maîtresse qui dialogue avec sa servante. Elle se dédouble à une rapidité étonnante en changeant de voix, d’intonation, de tempo et d’accent. Arnaud Denis campe avec désinvolture et amusement un fils qui profite de la vie, de l’argent de sa mère et des femmes. Il nous paraît d’abord odieux et misogyne dans sa relation avec Marie. Puis on le voit changer : son intelligence, son humour, sa liberté le séduisent mais il n’arrive pas à imposer son choix à sa mère.

Un spectacle qui nous touche et nous fait réfléchir joué par deux acteurs remarquables.

Frédérique Moujart

A partir du 9 février du jeudi au samedi à 20h30 – Dimanche à 16h, Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne – 75008 Paris – Réservation : 01 53 23 99 19 ou www.comediedeschampselysees.com

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