Au commencement de la danse, il y avait la marche. Au commencement de cette marche, il y aura un signal, un « Top départ ! » Sur un grand plateau encore sombre, des corps immobiles qui attendent et de légères percussions qui se font entendre. Et puis, ça commence. Invisible, secret, le top a été donné. Un corps se met à marcher, puis d’autres jusqu’à sept et voilà pas qu’il se mettent tous à danser… C’est que Régine Chopinot a voulu que ça démarre comme cela, par un « Prêt, partez ! » et que ça se mette ensuite à danser dans tous les sens et en tous coins de l’espace, à tous les rythmes. Marcher vite, courir, s’arrêter, repartir, sauter, pas de côté, pas de profil ou de face, pas chassés ou croisés, pas à deux ou à plus, portages marchés ou courus. La course est un jeu d’enfant, on court aussi avec ses bras et sa tête, avec tout son corps, on court et c’est déjà danser. Accélérations, accalmies, solos, duos, trios ou plus en grappe ou en pyramide à la conquête d’un top of the human being

Sur le plateau, au milieu de tout et dans le grand vide de l’espace-danse, la batterie de Vincent Kreyder et la guitare électrique de Nico Morcillo. Bien évidemment, on dira que les instruments dialoguent. Et s’ils dansaient plutôt ? Changement de métaphore ou de paradigme ? N’y a-t-il pas le mouvement avant le langage ? La musique a des accents de Pink Floyd, ces « flamands roses » sont de magnifiques danseurs de sons. Et puis un peu comme dans l’album Ummagumma (1969) de ces grands échassiers, il y a des cris. Des cris petits ou grands, légers ou forts, aigus ou graves, des vibrations d’air provenant des cordes vocales des danseurs. Au commencement de la parole n’y a-t-il pas des sons inarticulés entre eux mais articulés à nos corps? Des sons tirés de nos organes vocaux par des affects, Jean-Jacques Rousseau disait que les « passions arrachèrent les premières voix » aux humains (Essai sur l’origine des langues, 1781). Allons plus loin pour revenir à la danse avec un homme de théâtre, Claude Régy (1923 -2019) : « La voie est un geste qui prolonge le corps » (La brûlure du monde, 2011).

De ces corps, parlons-en. La troupe réunie sur le plateau offre une belle diversité de corps dansants. Les danseurs sont de tous les genres ou sans genres, de toute taille ou corpulence, de toute couleur de peaux ou de vêtements. Sur scène, Nicolas Barillot, Tristan Bénon, Melina Boubetra, Prunelle Bry, Bekaye Diaby, Naoko Ishiwada, Sallahdyn Khadir déploient un univers foisonnant de mouvements, gestes, combinaisons, de phrasés corporels dans une énergie qui semble autorégénératrice, à moins qu’elle ne rayonne du sol vers le ciel ou les deux !

La chorégraphie de Régine Chopinot est comme une grande synthèse de langages non verbaux. Dépourvue de mots, sans lexique figé, elle parle davantage. Nos paroles ne peuvent tout au plus que servir à lui répondre quelque chose, à lui faire écho, car sa danse a déjà tout dit. Une immense sensation de liberté et d’ouverture sur autrui et le monde se dégage de ce spectacle. Plus encore, une émotion vibre en nous dans le sens d’un respect infini de tout être en tout genre.

Ce Top vise à emmener tout le monde très loin, très haut par la danse, au top de la rencontre des humains, d’une possible fraternité qui débuterait par un simple signe de main. Top of the floor ? Pourquoi s’arrêter à l’étage? Top of the roof ! Sur le toit de l’humain. Une fois le ballet lancé, en vitesse de croisière, le top n’est plus un signal mais une allégorie, l’idée que l’humanité a commencé sa danse du monde mais qu’elle n’est pas achevée et qu’elle peut encore se transcender, qu’elle a une visée, qu’elle peut poursuivre son voyage vers le haut sans illusion, dans l’ombre et la lumière. Un pari ? « Tope là ! » 

Jean-Pierre Haddad

Festival Immersion de L’Onde, Théâtre Centre d’Art, 8 bis avenue Louis Breguet 78140 Vélizy-Villacoublay. Le 24 novembre 2022. Tournée 2023 : Le Manège de Reims, les 12 et 13 janvier, Réservations et plus d’informations ; Macon, Scène Nationale le 20 janvier 2023, Réservations et plus d’informations ; La Halle aux grains de Blois, le 23 Mars, Réservations et plus d’informations ; Le Bords de scènes, Juvisy-sur-Orge, le1er Avril, dans le cadre du festival Essonne Danse, Réservations et plus d’informations  

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