Élodie Menant, qui a eu deux Molières avec Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty (Meilleur Spectacle Musical et Révélation féminine) en 2020, s’est inspirée de son vécu pour imaginer cette histoire. Sa mère travaillait pour Reebok, ce qui lui a permis de côtoyer et voir courir des gens comme Marie-José Pérec. Enfant elle était sujette à des crises d’asthme et s’en est sortie en courant, probablement sur les conseils de son père, commentateur sportif et sportif lui-même.
Elle a donc imaginé une athlète, Julie Linard, sélectionnée pour les Jeux Olympiques. Elle est soutenue par sa famille, un frère en particulier, qui a un problème cardiaque et dont elle est très proche, et son entraîneur. En pensée elle convoque des sportifs célèbres, le sprinteur Usain Bolt, la nageuse Laure Manaudou, le marathonien Haile Gebrselassié, le tennisman Rafael Nadal et une gymnaste soviétique. À travers leurs phrases (vraies) et l’histoire de Julie, ce sont des vies qui apparaissent, des vies de passion où pour le plaisir des décharges d’adrénaline lors des compétitions et des exploits réussis, on accepte la monotonie des entraînements, les heures à décortiquer un geste, les souffrances liées aux blessures inévitables et les déceptions devant les échecs.
Johanna Boyé, primée dans de nombreux festivals et que l’on retrouvera à la rentrée de janvier pour La reine des Neiges au Vieux Colombier, met en scène le texte d’Élodie Menant. Elle épouse la dimension physique voulue par l’auteur et la scénographie de Camille Duchemin nous emporte astucieusement sur la piste du 800 mètres des J.O. courus par Julie. Des lignes au sol, les mouvements des acteurs, tous aussi danseurs, les gestes des bras et des jambes dans la course, les visages crispés par l’effort ou la souffrance, tout nous plonge dans la compétition. Ne manquent même pas les commentateurs sportifs, plus ou moins déchaînés, qui partagent enthousiasme, espoirs et déceptions. Les scènes familiales alternent avec les moments liés au sport avec soigneur et entraîneur et l’apogée des compétitions.
Un univers impitoyable, mais où ces sportifs se révèlent aussi drôles. Élodie Menant a repris des phrases dites en interviews par les champions. Il faut entendre Laure Manaudou (interprétée par Élodie Menant) dire que nager l’ennuie tout comme les centaines de milliers de petits carreaux bleus de fond de piscine vus chaque année à l’entraînement ! On découvre aussi que Usain Bolt s’est trouvé sur les pistes de 100 et de 200 mètres presque par hasard puisque son rêve c’était le cricket.
Vêtus de vêtements de sport de couleurs vives, les six acteurs (Vanessa Cailhol dans le rôle de Julie, Olivier Dote Doevi, Axel Mandron (en alternance avec Slimane Kacioui), Élodie Menant, Youna Noiret et Laurent Paolini) incarnent les vingt-trois personnages. Changeant de costumes en coulisses à une vitesse record, Élodie Menant passe du personnage de la mère à celui de Laure Manaudou ou de manifestante contre les J.O. Laurent Paolini épouse tous les tics bien connus de Rafaël Nadal avant de se muer en père de Julie ou en commentateur sportif.
Tous formidables, ils nous font vivre la passion de ces sportifs pour qui la vie deviendrait trop monotone s’ils n’avaient plus l’ambition de gagner. On partage leurs espoirs mais aussi leurs souffrances et leurs doutes. Pour notre plus grand plaisir, ils ne courent pas, ils volent !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 31 décembre au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – jusqu’au 24 décembre à 21h puis du 27 au 31 à 20h30 – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr – Tournée : 17 janvier La Garenne-Colombes (92), 2 février à Carquefou (44), 3 février à Saint-Hilaire (11), 14 février à Courbevoie (92), le 28 février à Saint-Quentin (02)
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