Exécuteur 14 est la première pièce d’une force incroyable écrite par Adel Hakim, ancien directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, disparu prématurément en 2017. Si la guerre au Liban l’a inspiré, le lieu et l’époque sont indéterminés et donnent à ce monologue un caractère universel. Un homme qui a survécu à une guerre civile effroyable nous raconte les différents événements qui l’ont conduit d’enfant doux, sensible et pacifique à un adulte victime puis bourreau.
Dans un espace vide avec pour seul élément de décor un grand tapis rouge déployé du fond de scène jusqu’aux pieds des spectateurs, Antoine Basler, absolument remarquable, avec la collaboration artistique d’Elsa Gallès et de Julien Basler, nous fait vivre son expérience en faisant appel à nos sensations et notre imaginaire.
Même si matériellement rien n’est visible sur le plateau, les paroles du comédien font surgir sous les yeux des spectateurs tout au long du spectacle les différents lieux : sa maison dans laquelle il se réfugie sous la table lors des bombardements, les murs éventrés, les routes menaçantes empruntées lors de ses promenades en voiture avec sa petite amie en territoire ennemi jusqu’à la grotte où se commettra l’innommable.
Sans jamais tomber dans l’excès ni le pathos, Antoine Basler incarne de façon époustouflante toutes les étapes de sa transformation. Il change sans cesse d’intonation alternant la voix projetée directement et l’utilisation d’un micro ce qui permet de faire passer des subtilités et de renforcer l’intimité avec les spectateurs. Il passe d’une voix douce presque enfantine pour les moments d’enfance et de tendresse avec sa petite amie à celle plus glaçante, métallique qui exprime la sidération, la colère et la haine quand il raconte la scène qui va le faire basculer dans le camp des bourreaux. Mais la force du texte et de son interprétation réside dans le fait que tout est suggéré, rien n’est raconté précisément. Pas d’hyperréalisme mais les spectateurs sont projetés directement dans cette folie meurtrière. La musique et les rythmes de la voix rendent cette irrésistible montée vers l’inhumain encore plus intense.
Un spectacle poignant d’une extraordinaire puissance qui fait vivre de l’intérieur aux spectateurs l’expérience de toute guerre.
Frédérique Moujart
Du 30 novembre au 23 décembre du mercredi au samedi à 19h – Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs. Paris 1er – Réservations : 01 42 36 00 50 ou www.lesdechargeurs.fr
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