Vincent Farasse met en scène deux de ses textes, des monologues, qui se complètent. Dans le premier, pour des questions de réorganisation de l’entreprise, un employé est déplacé du service de la maintenance au service commercial. Il épouse le discours du responsable des ressources humaines avec un enthousiasme sans faille, que n’ébranle même pas des suicides de salariés de l’entreprise sur leur lieu de travail. Si on le met à l’écart, si on le regarde, il pense que c’est parce qu’il est devenu un rouage essentiel de l’entreprise et lorsqu’on le licencie pour incompétence, il ne proteste pas. Il va même jusqu’à accepter un licenciement à l’amiable, puisqu’il va ainsi sauver une entreprise de 12000 personnes ! Ce discours vantant l’efficacité, dans la bouche de ceux-là mêmes qui en sont victimes, on le retrouve chez le second personnage, une femme. Elle nous vante le lieu où elle se trouve, une piscine peut-être, dans un de ces ensembles où tout a été pensé pour éviter les contagions en limitant le plus possible les rencontres et où il est vivement conseillé d’écouter les instructions de « ceux qui savent ». À l’écouter on comprend que les règles de l’entreprise capitaliste moderne ont gagné toute la société.

Comme l’ont démontré nombre de travaux sociologiques, culte de l’efficacité, recherche permanente de l’optimisation et de la performance ont peu à peu envahi tous les secteurs de nos sociétés. Non seulement ces impératifs sont acceptés, y compris par ceux à qui ils sont imposés parfois dans la douleur, mais il devient même difficile de se faire entendre lorsqu’on entreprend de les critiquer. Avec humour et sens de la dérision, ce spectacle s’y attache.

Avec seulement une chaise, chacun à leur tour, Redjep Mitrovitsa et Eve Gollac s’emparent avec finesse de ce texte où le calme masque la tempête. On pense à Kafka et à Orwell avec ces pantins aliénés, victimes dans le premier cas de la novlangue du management et dans le second du discours technocrate et hygiéniste. Les deux comédiens nous emmènent dans ce monde aliéné et désespérant avec un sérieux inébranlable. Ils sont magnifiques et en contrepoint la musique de Mozart où Don Giovanni dit à Zerlina« là ci darem la mano », « donnons-nous la main et partons » sonne bien ironiquement à la fin de la pièce.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 17 décembre au Théâtre de la Reine Blanche, 2bis Passage Ruelle, 75018 Paris – les mardis et samedis à 20h, les mercredis à 21h – Réservations : 01 40 05 06 96 ou www.reineblanche.com

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