« Les gardiennes »

Rose a vieilli. Celle qui fut autrefois une déléguée du personnel saignante, ne peut plus parler ni se déplacer et est désormais clouée dans son fauteuil roulant. Mais elle n’est pas seule. Ses trois « copines » qui furent autrefois ses collègues dans l’usine de tissage sont à ses côtés. Elles se sont installées dans son appartement, veillent sur elle et respectent ses petites routines. Mais un grain de sable vient détraquer cette organisation bien huilée. Victoire, la fille de Rose, arrive. Elle est radiologue et a enfin trouvé une place dans une maison médicalisée pour sa mère, qui sera ainsi près d’elle et de ses petites-filles. Habituée à être efficace, puisqu’elle doit combiner son travail, ses enfants, son nouvel amoureux, elle s’agite car elle n’a qu’une semaine pour vendre l’appartement et tout préparer pour le départ de Rose. Mais brusquement elle découvre qu’elle n’a plus accès à sa chambre car les trois amies se sont installées dans l’appartement, que le dossier médical de sa mère a disparu, qu’elles ont remplacé les visites chez les médecins par des séances chez le coiffeur et l’esthéticienne et que ce sont elles qui, vêtues d’une blouse blanche, contrôlent la tension de Rose ! Il n’y a pas que le dossier médical qui a disparu, les clefs de Victoire aussi, sa voiture se déplace mystérieusement, les trois amies sans lui demander son accord lui empruntent ses vêtements ou son téléphone.

On parle aujourd’hui beaucoup des questions liées à la fin de vie et, à sa manière, Nasser Djemaï s’empare du sujet. A la vision cartésienne de Victoire qui veut organiser au mieux la fin de vie de sa mère s’oppose celle des trois amies qui sont entièrement dans l’empathie, dans le souci de choisir ce qui va faire plaisir à Rose et la confrontation est souvent cocasse. Elles assument leur vieillesse, s’en rient, en usent pour se dégager des hésitations qu’imposent les conventions sociales. Elles sont un peu folles, un peu fées, un peu sorcières aussi, comme celles de Shakespeare. Avec elles le fantastique s’invite et Victoria perd de ses certitudes. Quelle place sera la sienne, choisira-t-elle à son tour de devenir une gardienne ?

La mise en scène de Nasser Djemaï joue de cette opposition du quotidien, avec un appartement qui porte les signes de l’âge de ses occupantes, et du fantastique, avec l’obscurité et la brume des marécages qui sont proches, l’orage qui gronde. Une petite musique italienne guillerette rythme parfois le passage d’une scène à l’autre. Le metteur en scène a le mérite d’avoir choisi quatre actrices qui ont l’âge de leur rôle, Coco Felgeirolles, Martine Hamel, Chantal Trichet et Claire Aveline. Elles incarnent ces femmes qui se sont dégagées des conventions, qui se laissent aller à leurs désirs heureuses d’être ensemble, même si cela les fait parfois passer pour un peu folles. Elles sont formidables. Face à elles, Sophie Rodrigues tient bien sa place. Parfois déconcertée par les décisions des gardiennes, tentant de conserver sa trajectoire rationnelle et d’aller au plus efficace, elle laisse aussi éclater sa colère ou au contraire son émotion quand elle parle tendrement à sa mère en italien.

Sur un sujet qui pourrait être plombant, la vieillesse, Nasser Djemaï apporte de la fantaisie, du mystère, de la poésie et offre à ses actrices des rôles magnifiques.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 25 novembre au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine – du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 43 90 11 11 ou www.theatre-quartiers-ivry.com – En tournée ensuite : 29 et 30 novembre au Volcan au Havre, 9 décembre au Théâtre de Villefranche, 14 et 15 décembre à la MC2 de Grenoble, 6 et 7 janvier au CDN de Normandie à Rouen, 11 et 13 janvier au Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, 19 et 20 janvier Maison de la Culture de Bourges, 25 et 26 janvier au Théâtre de Sartrouville, autres dates en février et mars dans d’autres régions