« On ne naît pas féministe, on le devient ». Cette phrase de Gisèle Halimi clôt le livre d’entretiens qu’elle a accordés à la journaliste du Monde Annick Cojean. De sa place d’avocate elle fut de tous les combats de la seconde moitié du XXème siècle, le soutien aux luttes de libération en Algérie, la condamnation de la torture, la lutte pour la libéralisation de l’avortement, la criminalisation juridique du viol. Chapitre après chapitre on suit le parcours et les motivations de cette femme exceptionnelle. Premier chapitre : de l’indiscipline. A 10 ans elle se lance dans une grève de la faim contre la culture patriarcale de sa famille, où « la naissance d’une fille est une catastrophe » et où celles-ci, « des inessentielles », sont uniquement destinées à servir les hommes de la famille. Très jeune, elle décide de faire ce qu’il faut pour que sa vie lui appartienne afin de ne pas être comme sa mère. Elle est une très bonne élève, demande une bourse et part poursuivre ses études en France.
Devenue avocate, elle s’engage en faveur des luttes pour l’indépendance mais se rend vite compte que la parole d’une avocate est moins écoutée que celle d’un avocat et qu’elle doit redoubler de talent pour capter l’attention des juges. Elle défend Djamila Boupacha et en fait une icône de tout ce qu’elle veut défendre, les luttes pour l’indépendance, la dénonciation de la torture et la défense des femmes. Les insultes et les menaces de mort de l’OAS ne la feront pas taire. Elle apprend et comprend vite. Elle mobilise le journal Le Monde et des personnalités, Simone de Beauvoir, Sartre Aragon et même Sagan et sauve probablement la vie de Djamila Boupacha. De la même façon elle fera un événement du procès de Bobigny, mobilisant des prix Nobel de médecine, des écrivains, des actrices, pour obtenir l’acquittement des femmes accusées d’avortement. Elle en profite pour dénoncer les injustices faites aux femmes, ouvrant ainsi la voie à la libéralisation de l’avortement. Sa plaidoirie en défense des deux jeunes Belges violées dans les Calanques aboutira à ce qu’enfin le viol soit considéré comme un crime et passible de la Cour d’assises. Elle a bien été tentée par la politique, mais sans succès. Sa vie c’était la révolte et pour chaque cause défendue, c’est elle qu’elle défendait.
Cette vie, ces espoirs et ces luttes sont racontées avec la vivacité du style, le sens de la formule de celle qui fut une très grande avocate. Sa rencontre avec le Général Massu, en pleine bataille d’Alger révèle un courage et une lucidité qui forcent l’admiration. En même temps ses hésitations, ses faiblesses sont là. De son amour pour une mère qui selon elle ne l’aimait pas, elle a fait une force en menant une vie à l’opposé de la sienne. Et en même temps, en creux on sent le chagrin, les regrets.
Léna Paugam, la metteuse en scène a choisi de faire une petite place à la voix de Gisèle Halimi, grâce aux archives de l’INA. Sa voix posée, sa diction parfaite intervient dans le cours du récit pris en charge par deux comédiennes, Philippine Pierre-Brossolette et Ariane Ascaride. Pas de décor, quelques images vidéo, des visages dessinés des personnalités citées et surtout la mer Méditerranée qui comptait tant pour Gisèle Halimi. Les deux comédiennes se relaient, se passent la parole, font entendre le texte avec simplicité, enfilent la robe de l’avocate ou la déposent. Elles sont parfaites.
L’intelligence, la volonté de convaincre de cette grande avocate, sa détermination au service de la lutte des femmes revivent sur cette scène et c’est un vrai bonheur !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 21 décembre à La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris – les mardis et mercredis à 19h30, relâches les 23 novembre et 13 décembre – Réservations : 01 40 03 44 30 ou www.lascala-paris.fr
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