Une femme arrive dans une maison isolée au bord de la mer, dont on comprend vite qu’elle se trouve à côté d’une centrale atomique qui a connu une catastrophe évoquant celle de Fukushima. Elle y retrouve, après une longue absence, un couple d’ingénieurs nucléaires retraités dont elle fut autrefois la collègue. Que vient-elle faire ? Est-ce le souvenir d’un amour de jeunesse avec l’homme qui l’a conduite à revenir, après tant d’années ? Pourquoi demande-t-elle à plusieurs reprises « Comment vont les enfants ? ». Dans une atmosphère inquiétante de fin d’un monde où l’électricité vacille, où les toilettes ne fonctionnent plus guère, où on ne peut plus boire l’eau du robinet et où le progrès semble un concept du passé, cette arrivée interroge le couple, jusqu’au moment où la voyageuse va leur faire une proposition surprenante.
Cette pièce de la jeune britannique Lucy Kirkwood, créée à Londres en 2017, a obtenu le prix de la meilleure pièce au Writer’s Guild Awards. On y trouve ce qu’on apprécie dans le théâtre britannique contemporain, de Harold Pinter ou de Martin Crimp par exemple, un art de mêler avec un humour assez noir une histoire de couple et les réalités économiques et sociales d’une époque qui se révèlent peu à peu au fur et à mesure que la pièce avance. Comment s’adapter au vieillissement, a-t-on encore des désirs quand on vieillit ? Que reste-t-il des idéaux de cette génération des années 60-70, avec ses rêves d’amour libre et sa croyance dans le progrès alors que les problèmes environnementaux se multiplient ? Et surtout que peut-elle faire, elle qui est tout de même en partie responsable de la situation ? On n’est ni dans une pièce intimiste, où ce qui dominerait seraient les ressorts psychologiques, ni dans la simple critique sociale et politique. On est dans tout cela à la fois. La pièce s’avance masquée et sous ce masque se trouve la tragédie, avait dit le metteur en scène Jean-Pierre Vincent qui avait envisagé de la mettre en scène. Ou plutôt une tragi-comédie car on y rit mais d’un rire chargé d’ironie, tantôt acide tantôt un peu triste et marqué du sceau de la résignation.
Dans un décor, où on devine plus qu’on ne le voit que tout se déglingue, Eric Vigner met en scène trois acteurs exceptionnels. Cécile Brune a la détermination et la force de Hazel. Elle combat la vieillesse par le yoga et ses petits-enfants dont elle dit qu’elle « apprécie surtout le moment où elle les rend à leurs parents ». Elle n’a rien oublié de leur jeunesse à trois et s’accroche à la vie. Frédéric Pierrot a la fragilité de son mari, Robin. Il a aimé les deux femmes, ne veut décevoir personne et dit chaque jour à Hazel qu’il va s’occuper des vaches alors qu’elles sont mortes depuis longtemps. Dominique Valadié est Rose, la visiteuse mystérieuse. Sa voix grave et sourde convient bien à ce personnage dur, à l’humour cinglant, qui va tenter de convaincre Hazel et Romain de la suivre dans son projet. Ils sont brillants !
Micheline Rousselet
À partir du 20 septembre au Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, 75018 Paris – du mardi au samedi à 21h, les dimanches à 15h – Réservations : 01 46 06 49 24 ou theatre-atelier.com
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