Vous voyagez et passez par plusieurs chambres mais vous ne descendez que dans un seul hôtel. Voyage immobile ? Un Voyage autour de ma chambre comme celui de Xavier de Maistre écrit en 1795 ? Non car vous n’êtes pas aux arrêts dans une citadelle turinoise mais dans une pérégrination de chambre en chambre à travers les couloirs d’un hôtel lyonnais. Certes, de Maistre était savoyard et vous êtes à l’Hôtel des Savoies mais la coïncidence s’arrête là et vous n’irez pas comme lui jusqu’à faire sa vie en Russie (surtout en ce moment !). Nuitamment, vous avancez donc par petits groupes d’une douzaine de voyageurs-spectateurs vers des surprises théâtrales bien chambrées par l’atmosphère de mystère qui s’installe. Qu’allez-vous découvrir derrière ces portes sans nom ? Vous pourriez tout aussi bien être un client de l’hôtel attiré dans une chambre voisine où il vous semble qu’il se passe quelque chose…
Le Théâtre du Point du Jour, basé dans le quartier éponyme de la capitale des Gaules a pour mot d’ordre de nous faire « habiter la contradiction et vivre l’expérience ». Il remplit excellemment son programme dans ces Portraits Hôtel. À la tombée de la nuit, Il nous fait découvrir son théâtre de chambre comme il existe une musique de chambre. Très petite formation, quatre « seuls en chambre » distincts, chacun sur ou autour d’un lit-scène ; petit plateau et petite salle puisque les deux ensembles se confondent en une même chambre d’hôtel à peine modifiée et sans qu’il s’agisse de la suite royale d’un palace ! Intimité radicale. Vous êtes donc au plus près du comédien, de son jeu qui peut révéler à tout moment son je, mais l’acteur est si impliqué que rien n’y parait ou bien tout ! Nous sommes en effet au comble de l’incarnation théâtrale où le comédien endosse toute la personnalité de son persona ou « masque » en latin, mais un masque à même la peau. Impression de réalité totale due à des fictions génialement mises en chambres et finement interprétées.
Le spectateur-voyageur que vous devenez en viendrait presque à croire qu’il est là par erreur, égaré par la ressemblance du couloir, il s’est tout simplement trompé de chambre. Concentrées en des partitions denses et intenses, ces petites pièces de quinze minutes livrent chacune une histoire complète avec exposition, intrigue et dénouement, tout en ménageant la surprise du décor et du sujet à chaque franchissement d’une nouvelle porte au numéro doré. Jouissance du voyeurisme sans culpabilité !
Sept histoires ou chambres distribuées sur cinq parcours de quatre chambres chacun dans trois hôtels lyonnais qui jouent le jeu… Autant dire une riche combinatoire qui aborde des thèmes aussi variés que le cauchemar, les influenceurs du Net, les rencontres amoureuses d’une nuit, la PMA, la thanatopractrice, l’enquête policière, sans oublier le stress des femmes de chambres et gouvernantes d’hôtel. Vous passez par toute une gamme d’émotions en une durée totale équivalente à un seul spectacle « entr’chambres » compris. Tout est à échelle humaine, plus encore à échelle individuelle, à portée de main même. La salle de bain est un hors-champ possible mais d’un instant seulement, pas de coulisses, ni à cour ni à jardin, quatre parois sans quatrième mur, une chambre close comme un tombeau et le vertige du monologue. Dès lors le jeu doit atteindre le sommet du paradoxe diderotien : il doit être à la fois très naturel et hautement maitrisé, jeu sensible sur lit défait et jeu de tête parfait.
À l’expérience unique et sans doute très formatrice des comédiens, s’ajoute celle immersive du public. Un même corps humain peut-il vivre une grande variété de situations et d’affects en un temps relativement court? Un spectateur peut-il être au plus près du comédien comme s’il était au pied de son lit ? Expérience plus que concluante : vous vivez du théâtre augmenté ! À moins que ce ne soit de l’hôtel augmenté car vous avez tous déjà séjourné à l’hôtel en espérant secrètement qu’il se passât quelque chose pour vous ou dans la chambre d’à côté, quelque chose de plaisant ou de terrible pourvu que ce soit insolite et dans l’anonymat de l’hôtel !
Mille bravos au Théâtre du Point du Jour et à la Compagnie des Lumas pour leur engagement passionné, courageux et déterminé. Sous la direction d’Angélique Clairand et d’Éric Massé qui jouent également « une chambre » respectivement Coup de feu et Hors la loi, les comédiens Clara Bonnet dans Au plafond, Étienne Gaudillère dans Le parfum de la dame en noir, Aurélia Lüscher dans Immanence ou incorruptibilité des corps, Sacha Ribeiro dans Chantons sous la nuit et Alice Vanier dans Qui m’aime me suive, sont tous excellents et impliqués en amont du projet puisqu’ils en ont écrit collectivement les textes et les ont mis en chambre en s’entraidant. Saluons également l’équipe technique légère mais redoutablement efficace dans ces conditions exceptionnelles, lumière, son et régie générale : Quentin Chambeaud ; régie plateau : Bertrand Fayolle ; régie nomades : Hadrien Martel.
Prenez votre billet TGV (Théâtre de Grande Vitalité) et surtout réservez l’hôtel !
Jean-Pierre Haddad
Après programmation du 18 au 20 septembre 2022 à l’Hôtel des Savoies (Lyon 2), c’est à découvrir les 25 et 26 septembre à 18 et 20h au Fourvière Hôtel, 23 rue Roger Radisson, Lyon 5 ; le 2 octobre à 16 et 18h, au Phénix Hôtel, 7 quai de Bondy, Lyon 5. Informations et réservations : https://www.pointdujourtheatre.fr/saison/portraits-hotel
Photo spectacle © Théâtre du Point du jour
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