Deux hommes assis sur des cartons l’air las. Ils parlent Scorcese, Fellini, Godard ou Orson Welles. Ils viennent de fermer leur vidéo-club, peut-être le dernier sur la terre. Ils rêvaient de cinéma, une phrase suffisait à les lancer sur un film ou sur un plan et sur ce terrain ils sont imbattables. Ils en parlaient avec des clients passionnés comme eux, accrochés à leur magnétoscope, loin du streaming, de Netflix et d’Amazone. 

Ils sont seuls, l’un est divorcé, l’autre veuf, l’un a une fille qui l’appelle au téléphone une fois par semaine, l’autre a deux fils, des « incultes » qu’il a perdus de vue. Il n’y a pas de femme, seulement l’amitié de deux hommes. Ils sont des « finisseurs », ils liquident cassettes VHS et DVD et vont quitter ce qui fut leur vie pendant vingt-sept ans pour une maison à retaper à la campagne. De leur vie passée ils n’emportent que quelques objets dérisoires et une dizaine de cassettes des films les plus aimés. Ils savent se moquer d’eux-mêmes (d’où le titre Lazzi), ils ont même fait un film « plus nouvelle vague que la nouvelle vague » ! Il faut bien finir en faisant quelque chose alors pourquoi pas ce nouveau « projet de vie ». Si l’un se sent proche de la nature, l’autre est plus méfiant. Ils vont planter des arbres, et puis ils pourraient faire un cimetière des films et s’ils ne les ont plus, ils pourraient enterrer des papiers avec les titres.

Fabrice Melquiot a écrit cette comédie douce-amère, dont il signe aussi la mise en scène, pour deux acteurs qu’il avait rencontrés en travaillant à la Comédie de Saint-Étienne et dont il admirait le talent, Vincent Garanger et Philippe Torreton. Il les place dans une sorte de désert gris de poussière où traînent des rangées de strapontins à moitié cassés, comme ceux d’un cinéma totalement déglingué. Au fond de la scène une vieille publicité pour une compagnie d’aviation, un peu déchirée qui semble pendouiller dans le vent. À l’avant un peu de terre où Vincent Garanger va planter un arbre, comme un espoir de vie tandis qu’au-dessus de la scène une météorite, que l’on ne percevait pas au début, devient de plus en plus présente, comme une menace.

Réflexion sur le cinéma, remarques fines sur des films célèbres, tout cela est dans le texte de Fabrice Melquiot mais passe de façon subtile, sans lourdeur, comme des idées qui infusent dans la conversation. De ce texte très écrit, empli d’humour, de poésie un peu surréaliste parfois et surtout de tendresse, d’attention et de complicité, les deux acteurs font leur miel au point qu’on croirait parfois qu’ils sont ces deux personnages. L’élégante chorégraphie d’Ambra Senatore soulignant le spleen de Vincent Garanger, la mélancolie des musiques d’Emily Loizeau contribuent à cette atmosphère de fin d’un monde. Philippe Torreton plus sarcastique, plus pessimiste, Vincent Garanger plus rêveur dessinent le portrait de deux hommes errants dans un monde qui a perdu ses utopies et ne sait pas trop où il va. Le spectateur est touché, ému et ébloui par tant de talents réunis.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 24 septembre au Théâtre des Bouffes du Nord – 37bis boulevard de la Chapelle, 75010 Paris – du mardi au samedi à 20h, matinée le samedi à 15h30 –

Réservations : 01 46 07 34 50 ou www.bouffesdunord.com

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