Au « non » du père, répond le « oui » de la fille approuvé et relancé par l’esprit de théâtre d’Ahmed Madani. Le dramaturge sait entretenir le lien entre la vie, nos vies, leurs vies et l’universalisation des histoires particulières que permet le passage sur scène. Le code génétique de son théâtre est la rencontre culturelle, l’échange entre des individualités venues des cités et le partage d’une humanité inclusive, une et multiple, bigarrée. Avec le Non du père, nous assistons au dernier volet d’un vaste et fructueux projet né en 2012, au titre qui en résume les six opus, Face à leur destin.

Que faire face à un non catégorique, réitéré et définitif ? Un non qui rejette une femme aimée et l’enfant de cet amour non désiré mais bien là ?

Situation cruelle d’où pourrait naitre la tragédie. Mais le tragique implique un destin, un fatum implacable et Madani est un vrai progressiste : « le destin, il ne faut pas l’attendre mais l’accomplir » ; lui faire face et s’en emparer. C’est possible nous dit-il, car le dieu grec Kaïros le permet en nous envoyant maintes opportunités d’action et de prise en main de notre histoire. Si le passé est intangible, saisir le moment opportun peut changer l’avenir – pourquoi pas, lorsqu’en plus il s’annonce malheureux ! Ni fatalité ni lamentation mais savoir saisir le dieu ailé par sa touffe de cheveux !  

Anissa, fille puis femme, puis mère, rêve d’un père qui a dit non. Enjeu de filiation, enjeu également symbolique, celui du Nom du Père. Enjeu de reconnaissance contre une ignorance volontaire peut-être légitime mais injuste.

Anissa qui joue Anissa, est devenue comédienne quand elle accepta de figurer dans F(l)ammes (La Tempête, 2017), spectacle dans lequel Madani invitait sur scène des jeunes femmes des quartiers. Elle n’est pas seule en scène, son père de théâtre l’accompagne, l’auteur et metteur en scène en chair, en os et en paroles chaleureuses et souriantes. À côté de celui bien connu de Diderot, il y a un paradoxe du théâtre lui-même : il nait dans la vie des humains mais il la transfigure, l’imagine aussi, la sublime souvent et parfois même la fait avancer. Car il est de ce monde, pas d’un autre.

Sur scène, ce n’est pas la cène mais la cuisine ! Tout en racontant son histoire, sa quête pour retrouver coûte que coûte ce père du non, Anissa nous prépare des douceurs… Aucun suspens sur la dégustation à venir, en revanche une totale incertitude quant au père manquant.

La scénographie matérielle est juste nécessaire, sans fioritures, table de cuisson, écran et petit poste de régie vidéo. Une autre scénographie olfactive agit également : les odeurs sucrées de pâtisserie envahissent la salle laissée en pleine lumière à la demande d’Anissa. Pas grave puisque ce n’est pas du théâtre tout en en étant totalement ! Les souvenirs ou les rêves s’enchainent en volutes d’une cuisine revisitée du passé.

Anissa, aidée du génial auteur, retrouvera-t-elle son géniteur ? Auront-ils une Rendez-vous gustatif ou répulsif ? Madani nous embarque en nous demandant d’imaginer la fin… Puis on évoque La conférence des oiseaux. Dans ce poème persan du XIIe siècle, les oiseaux volant à la recherche de leur roi ne trouvent finalement qu’un miroir… Anissa devra-t-elle s’envoler ? Vers quel reflet ? Qui tiendra le miroir et qui s’y reflètera ? 

Laissons le suspens entier. Ne manquez pas d’aller gouter les saveurs du théâtre Madani !

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off, au 11, 11 bd Raspail, du 7 au 29 juillet à 9h50. Relâche les mardis 12, 19 et 26. Réservation sur le site ou 04 84 51 20 10.

En tournée saison 2022-2023 dans toute la France. Dates et recettes sur le site :

http://madanicompagnie.fr/au-non-du-pere-mediation-spectacle/

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