Dans son précédent spectacle, Un démocrate, qui s’attaquait au pouvoir de la com’, Julie Timmerman avait commencé à parler du pouvoir des lobbys. Avec Bananas elle s’attache à l’histoire d’une de ces multinationales, la United Fruit Company, à la façon dont la Compagnie a réussi à se faire attribuer des millions d’hectares, dans tous les pays d’Amérique Centrale et en Colombie, pour y cultiver des bananes, au prix de la corruption de leurs dirigeants et de l’expulsion, sous la menace, des Indiens propriétaires depuis des temps immémoriaux de ces terres. Et quand un dirigeant progressiste au Guatemala, Arbenz, tenta de résister, d’organiser une réforme agraire et de mettre en place un code du travail, la United Fruit saura maîtriser les instruments de propagande les plus performants et s’assurer le concours de la CIA pour en 1954 renverser le général Arbenz, au nom de la lutte contre le communisme. Ce triomphe de la multinationale de la banane est aussi passé par l’élimination de tous ses concurrents et par le désastre pour l’environnement et les communautés mayas que représente l’utilisation du chlordécone, dont on connaît aussi les dégâts dans les plantations des Antilles françaises.
Un rideau de plastique noir coupe la scène, tantôt voile de bateau, tantôt fenêtre. Derrière c’est le monde des esprits qui imprègne l’imaginaire maya apportant un peu de poésie et de fantastique dans ce monde cruel et froid. Ce rideau sert aussi d’écran pour des projections, documents de propagande de la United Fruit sur le travail dans les plantations, archives de la CIA et du Département d’Etat des États-Unis et photos de la guerre civile qui a suivi. Devant le rideau c’est le monde froid des transactions marchandes, de la justice aux ordres, de la corruption des politiques et de l’exploitation. Julie Timmerman veut faire de ce récit un opéra bouffe. Il y fallait donc des bouffons, on les a sous l’apparence de ces monstres égoïstes avides d’argent de pouvoir qui finiront barbouillés de blanc comme des clowns sinistres. Il y a de la musique aussi mais discrète, elle ne doit pas faire écran aux mots. Quatre acteurs, dont Julie Timmerman remarquable en contremaître dépourvu d’humanité, interprètent une trentaine de rôles. Leurs costumes les assignent à leur rôle, dirigeants de la société, costume militaire des dictateurs, vêtement de travail du contremaître, robe fleurie évoquant les mayas. Le rythme est soutenu, le jeu expressif et le spectateur se laisse emporter par cette histoire, vraie qui plus est.
Comme le dit Julie Timmerman ce qui se joue sur la scène, c’est « un cabaret brechtien, une épopée aux airs de western et de film d’espionnage » où les gangsters sont des firmes multinationales et des dirigeants corrompus, soutenus par les États-Unis, et les indiens, des ouvriers des plantations et des mayas dépouillés de leur terre et dont la vie et la santé ne comptent pas. Son projet était de « dénoncer les violences du passé pour éclairer les violences du présent, défendre la démocratie contre le pouvoir des multinationales et ainsi lutter contre la confiscation de notre pouvoir de citoyen ».
Le résultat est formidable, tant pour l’écriture que la mise en scène et l’interprétation.
Micheline Rousselet
7 au 30 juillet – 14h50 – Théâtre de l’Oulle – https://www.theatredeloulle.com/
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