Pour ce nouveau spectacle proposé par la Comédie Française à l’occasion de la saison Molière, la metteuse en scène Louise Vignaud avait d’abord pensé au Roman de Monsieur de Molière de Boulgakov. Elle s’est finalement associée à une autrice de ses amies pour écrire à quatre mains une pièce nouvelle, mêlant Molière et Boulgakov, deux auteurs qui chacun en leur temps ont eu maille à partir avec la censure et le pouvoir politique.
Pourquoi ce titre ? Parce que Molière est né dans un immeuble dont le poteau d’angle était orné de sept singes qui, dans la tradition occidentale sont censés, en nous imitant à merveille, révéler nos faiblesses et sont généralement associés à la satire et à l’humour.
Dès le début de la pièce, Boulgakov reçoit la visite de Vorochilov, membre de la Commission du Bureau Politique du Parti Communiste, qui lui égrène peu à peu les mauvaises nouvelles. Ses pièces sont interdites, ses livres retirés des bibliothèques, ses manuscrits confisqués ou dérobés car trop peu conformes aux préceptes de la Révolution Socialiste. Soutenu par sa femme, Boulgakov croit pouvoir obtenir de Staline le retrait de ces mesures. Mais celui-ci, en tyran cruel, se contente de lui laisser répéter sa pièce pendant quatre ans sans jamais accorder la moindre autorisation de représentation et fait même confisquer son passeport et celui de sa femme pour l’empêcher de quitter l’URSS. Boulgakov se tourne alors vers le passé et découvre en Molière un miroir de ses propres difficultés. Tous deux ont espéré être soutenus par le pouvoir politique, qui reconnaissait leurs qualités d’écrivain. Mais tous deux en ont été victimes et, à trois cent ans d’intervalle, ont dû se battre au prix de leur santé et de leur vie pour faire exister leur œuvre.
La mise en scène de Louise Vignaud réussit avec beaucoup d’intelligence à nous transporter d’un siècle à l’autre. Souvenir des tréteaux, on change d’époque par un simple rideau que l’on tire et qui derrière un appartement de l’époque soviétique laisse apparaître une scène de théâtre du grand siècle ou encore les couloirs glacés d’un ministère où passent des silhouettes sourdes aux prières. Et s’il faut s’en étonner, le téléphone de l’appartement soviétique se met à sonner à la grande surprise des comédiens de la troupe de Molière ! Illusion du théâtre, on passe du bureau où écrit Boulgakov (superbe Pierre-Louis Calixte, passant du désespoir à l’ombre d’un espoir) à Molière (Nicolas Chupin) avec ses amis, Boileau et La Fontaine, plein de fougue qui fait feu de tous bois pour séduire le Roi et trouver la parade contre les censeurs en tous genres. La même comédienne, Coraly Zahonero, interprète les deux compagnes des deux écrivains, Elena Sergueïevna Boulgakova et Madeleine Béjart, dont elle incarne de façon bouleversante le chagrin et la jalousie quand Molière décide d’épouser la jeune Armande Béjart (Géraldine Martineau). De courts extraits de l’œuvre des deux auteurs interviennent parfois en écho et ici, bien sûr, c’est l’Agnès de l’École des femmes qui s’impose. Enfin la metteuse en scène a eu l’idée magnifique de confier au même acteur Thierry Hancisse, impératif et inquiétant, le soin d’incarner tous les censeurs, Vorochilov et le directeur du théâtre qui applique les consignes, le Cardinal qui veut faire interdire Tartuffe et Madame de Rambouillet qui exige une modification des Précieuses ridicules.
Une déclaration d’amour, intelligente et pleine d’émotion, au théâtre et aux artistes qui se battent contre toutes les formes de censure pour faire exister leur art.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 10 juillet au Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h – Réservations : comedie-française.fr
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