Un homme et une femme viennent d’assister aux funérailles du père de l’homme. Elle ne souhaitait pas venir et voudrait quitter très vite cette maison. C’est là que dix ans plus tôt leur petite fille a disparu brusquement un jour d’été. La douleur est toujours là, d’autant plus qu’une jeune fille de seize ans apparaît dans le paysage. Semblant très perturbée, elle est porteuse d’objets et de vêtements ayant appartenu à la petite fille et prétend être celle qui a disparu. Le père est ébranlé, tout comme son fils qu’il a appelé à l’aide, mais la mère refuse de la voir se disant sûre que ce n’est pas elle.
Dans cette sorte de « polar métaphysique et mystérieux », Laurent Mauvignier rassemble nombre de thèmes qui lui sont chers : la famille et ses non-dits, le deuil impossible, l’absence, les fantômes, car celui du grand-père ne cesse d’apparaître au père pour dialoguer avec lui. Il lui raconte qu’il n’aimait pas sa belle-fille et le méprisait pour n’avoir pas su protéger cette petite-fille qu’il adorait. La pièce creuse les blessures qu’a provoquées la disparition de l’enfant, le mal-amour qui a envahi ce couple, la difficulté des rapports père-fils. Comment peut-on continuer à vivre après un tel traumatisme, surtout lorsque la mère reste murée dans un silence dont elle ne sort que pour des refus et des dénis ? Que s’est-il réellement passé dans cette maison dix ans auparavant ?
Arnaud Meunier met en scène la pièce d’une façon qui peut paraître très concrète, très réaliste. On est dans un décor de maison habitée par un vieil homme, avec un salon et une cuisine en formica très années 50. Et pourtant l’inquiétude est présente avec cette jeune fille qui semble donner des preuves, ce grand-père qui, à peine enterré, revient vider son sac auprès de son fils, cette mère qui s’accroche à des refus mystérieux. Utilisant des passages au noir entre les séquences, le metteur en scène réussit à entretenir le suspense et le mystère tout au long de la pièce, servi par des acteurs exceptionnels.
Philippe Torreton, massif, terrien, hanté par ceux qui ont disparu, mutique dans sa douleur mais rationnel et s’accrochant malgré tout à l’espoir. Sa colère explose parfois mais il tente surtout de convaincre. Anne Brochet en peu de mots dessine une image de mère terrifiante. Elle trouve tous les prétextes pour tenter de fuir cette maison au plus vite, éviter que son fils n’y vienne à la demande de son père et, par son refus catégorique de rencontrer la jeune fille qui prétend être la fillette disparue, elle finit par devenir inquiétante. Jean-François Lapalus qui interprète le grand-père, Romain Fauroux qui interprète le frère de la petite disparue et Ambre Febvre qui interprète Élisa la jeune fille qui dit être la disparue, tous deux issus de l’École de la Comédie de Saint-Étienne que dirigea Arnaud Meunier, sont tout aussi convaincants.
Ils nous laissent saisis d’inquiétudes au bord du gouffre des secrets et des non-dits familiaux.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 4 juin au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au samedi à 21h, samedi 28 mai à 15h30 et 21h, samedi 4 juin à 18h30, dimanche à 15h30. Relâche les 22, 23, 26 et 30 mai –
Réservations : theatredurondpoint.fr ou 01 44 95 98 21
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