Beyrouth et Jérusalem sont deux villes symboles à la fois proches et lointaines. Ressemblances et dissemblances : multiculturalisme, lieux de conflits militaires, religieux et politiques, villes convoitées et hantées d’histoire, vieilles pierres au soleil et passions communautaires chauffées à blanc. L’une est un port, l’autre s’étale sur des collines rocailleuses. L’une est sainte, intouchable mais pas imprenable. L’autre, la profane, a connu les ravages de la guerre civile. Ni l’une ni l’autre ne connaît de vraie paix et chacune survit de guerre en guerre.

En juillet 2006, Lauren, la fille d’un couple franco-libanais, se retrouve prisonnière de la deuxième guerre entre Israël et le Liban déclenchée par des tirs provocateurs de missiles du Hezbollah suivis d’une invasion israélienne très meurtrière. Le conflit éclate exactement la veille du concert de la chanteuse Fairouz prévu le 13 juillet et auquel Lauren rêvait depuis longtemps. Pas de concert et de poésie suave mais une pluie assourdissante de bombes qui s’abat sur le Sud-Liban. La famille doit se mettre à l’abri. Lauren essaiera en vain d’obtenir un rapatriement par l’ambassade de France à Beyrouth. Elle regagnera finalement la France par Damas en traversant la frontière syrienne dans un convoi de voitures échappant de peu à un bombardement, laissant derrière elle sa famille paternelle en proie à l’angoisse de la guerre.

Un an plus tard, Lauren inscrite à un cours de théâtre parisien y rencontre un jeune Israélien « de gauche » donc fréquentable. Histoire d’amour à la Roméo et Juliette où les Capulet et les Montaigu sont remplacés par deux peuples viscéralement ennemis. Comment est-ce possible ? « L’amour peut-il suffire ? » That is the question. ?Elle le retrouvera à Tel-Aviv pour un voyage tant rêvé à Jérusalem, ville au centre de toutes les convoitises et dans laquelle Lauren pénètre avec un esprit de conquête mais désarmée par l’amour.

Périple dans la famille de son amoureux qui vit juste de l’autre côté de la frontière libanaise, sentiments troubles et tensions intérieures. Mais en face, que faire du legs de cette histoire tragique ? Faudrait-il retourner en Europe dans le risque des persécutions ? L’histoire n’a pas de bouton « Effacer »…

Le texte du spectacle, semble-t-il autobiographique, écrit par Laura Houda Hussein qui en est aussi l’interprète, est riche d’informations historiques, plein de truculences méditerranéennes, fort en émotions et intéressant par ses pistes de réflexion. « L’amour suffit-il ? » est par exemple une question cruciale et universelle. Suffit-il à justifier des alliances qui peuvent être prises pour des trahisons ? Suffit-il à faire le ciment d’une histoire commune tiraillée par les préjugés des communautés respectives ? Suffit-il à résoudre un conflit vieux de plus de 70 ans ? Suffit-il même à s’aimer vraiment ?!

Tout cela appelle un lyrisme plutôt absent sur le plateau. Autre réserve sur la mise en scène assurée par Ido Shaked pour la compagnie du Théâtre du Majâz qu’il a fondée avec l’autrice et actrice. Ce triptyque en attente de son troisième volet qui s’intitulera Paris et sera créé en 2023, se présente comme «un concert documentaire». Il s’agit plutôt d’un récit ponctué de musiques et chansons orientales. L’accompagnement au oud par Hussam Aliwat crée une belle ambiance sonore. Mais pourquoi si peu de couleurs, de saveurs – exceptées celles gustatives de l’assiette libanaise servie entre les deux temps de scène ? L’aspect documentaire aurait pu donner lieu à des images, réalistes ou artistiques. Étant donné le dispositif scénique encadré par deux grands murs écrans, accidentés de portes et de soudures, on aurait pu s’attendre à des projections de vidéos ou de photographies donnant à voir les paysages du Sud-Liban ou ces villes iconiques que sont devenues Beyrouth et Jérusalem pour le monde entier. Le support aurait suggéré leurs cicatrices. Il n’en est rien. La théâtralité du spectacle en pâtit un peu alors que les ingrédients d’un théâtre à la fois affectif, poétique et politique sont bien là.

Peut-être s’agissait-il d’une volonté délibérée de livrer un récit brut ?

Jean-Pierre Haddad

Théâtre Jean Vilar, Vitry sur Seine. Représentation unique du 02 avril 2022. Reprise probable lors du 3ème volet

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu