Quand Eric Ruf a proposé à Lilo Baur, à la fois comédienne et metteuse en scène de théâtre et d’opéra, de mettre en scène L’avare, elle a hésité. Elle se sentait un peu écrasée par les nombreuses versions souvent très talentueuses qui en ont été données. Mais elle a relu la pièce et a été saisie par sa puissance comique.
Elle a alors imaginé Harpagon en banquier suisse sur les bords du lac Léman, où elle est née, prêtant de l’argent à des taux usuraires. Élégant et rapace, il veut toujours plus d’argent, l’idée d’avoir à en donner le met en transe. Même le bonjour il ne le donne pas, il « le prête ». Il veut tout mais que cela ne lui coûte rien. Il vole même l’avoine de ses chevaux, puisque c’est un aliment comme un autre ! Son avarice a aussi contaminé ses sentiments. Ses enfants ne doivent rien lui coûter. Il se moque de leurs sentiments. Il destine son fils à une vieille veuve fortunée et sa fille à un barbon qui ne demandera pas de dot. Pire encore, il a décidé d’épouser celle qu’aime son fils et pour ses épousailles enjoint son cuisinier de réduire les frais au minimum, calculant chaque verre de vin qui sera servi. C’est à l’argent qu’il a donné tout l’amour dont il était capable.
Dans une belle scénographie de Bruno de Lavenère, une pelouse descend en pente douce vers le lac et on aperçoit au loin les sommets enneigés quand les acteurs ouvrent les claustra qui ferment la scène. Sommet de rapacité et d’égoïsme, si Harpagon refuse tout à ses laquais et à ses enfants, il fait des exceptions pour lui. Vêtu élégamment il joue au golf.
La faiblesse de cette mise en scène est qu’elle tire trop la pièce dans le sens de la farce. On rit d’Harpagon plus qu’on ne sent la critique que faisait Molière de cet homme, sacrifiant même ses propres enfants pour accumuler toujours plus. L’idée de placer l’action en Suisse et de faire d’Harpagon un spéculateur aurait dû permettre de mieux pointer son avidité. Mais la mise en scène reste au bord de l’idée. Certes on rit, mais de façon bien mécanique, à l’agitation de Laurent Stocker courant partout à la recherche de sa cassette et accusant tous ses proches de l’avoir volé. La perversité de ses relations apparaît bien dans la scène où il interroge Cléante sur ses sentiments envers Mariane, le laissant espérer pour mieux tromper brutalement les espoirs qu’il a fait naître, mais cela reste une exception. Françoise Gillard dans le rôle Frosine et Jérôme Pouly dans celui de La Flèche se détachent nettement du reste de la distribution, qui reste un peu terne.
Une mise en scène où l’on se plaît à retrouver les répliques cultes de nos années collège (vive Molière ! ) mais que l’on eût aimée un peu plus noire.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 24 juillet à La Comédie Française, Salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris – en matinée à 14h, à 20h30 en soirée – calendrier détaillé sur www.comedie-francaise.fr
Réservations : 01 44 58 15 15 ou www.comedie-francaise.fr
Diffusion en direct dans plus de 200 salles de cinéma à partir du 12 avril et rediffusions à partir du 2 mai – réservations : pathelive.com/lavare
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